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Sans doute il combattait la propagande armée, « cette tyrannie de donner la liberté par contrainte » (the tyranny of giving liberty by compulsion). Mais si, au lieu de se donner comme des libérateurs, les Français avaient prétendu simplement user du droit de conquête, quelle est la cour d’Europe qui aurait le droit de leur jeter la pierre ?

« Les États de Brabant étaient un gouvernement libre et légal d’après les traités. Mais étaient-ils libres sous la maison d’Autriche, sous Joseph, Léopold ou François ? Oh ! oui, lorsque Dumouriez fit à, Bruxelles une entrée triomphale, et lorsque les gouverneurs autrichiens firent leur sortie par une poterne, ils laissèrent derrière eux une déclaration aux États restaurant leur grande charte, la joyeuse entrée, qui avait été le perpétuel sujet de dispute avec leur souverain : voilà le gouvernement qui agissait de façon si honorable avec ses sujets et qui prétend couvrir la France de honte ! »

Quant à l’ouverture de l’Escaut, la Hollande ne se plaint pas : de quel droit l’Angleterre serait-elle sur ce point plus susceptible que son alliée directement intéressée ? Mais les clameurs de colère et de haine grandissaient, et la tentative suprême de Fox demandant, le 16 décembre, qu’un ambassadeur fût envoyé en France, afin qu’une discussion courtoise réglât les différends et dissipât les malentendus, fut accueillie presque avec insulte. Burke, déchaîné, prêcha entre l’Angleterre et la France la guerre éternelle.

Littora littoribus contraria, fluctibus undas
Imprecor, arma armis : pugnent ipsique nepotesque.

(Je soulève les rivages contre les rivages, les flots contre les flots, les armes contre les armes ; qu’ils combattent, eux et leurs descendants.)

Toute négociation officielle avec la France révolutionnaire fut dénoncée comme une honte et une contamination. Grey, Courtney, Sheridan tentèrent d’inutiles efforts contre la tempête. À la Chambre des lords, lord Grenville répondit au nom du ministère, avec une violence inaccoutumée, à lord Landsdowne, qui avait courageusement proposé l’envoi d’une ambassade auprès de la République française :

« Ce serait, dit-il, une démarche dégradante et la dignité de la nation en serait souillée. »

Ce qu’il y avait de grave, c’est que ce n’étaient pas seulement les classes dirigeantes qui se passionnaient ainsi. Le peuple, les prolétaires, à l’exception de quelques groupes d’élite, étaient fanatisés contre la France. Les dirigeants avaient réussi à leur persuader que la France voulait jeter en Angleterre la flamme de la Révolution pour dévorer son commerce et son industrie. Et les salariés exaspérés croyaient lutter contre la menace de la famine et de la ruine.

Brissot, qui suivait d’assez près les affaires d’Angleterre, a très bien vu cela, et il l’a noté dans son rapport du 12 janvier 1793 à la Convention.