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s’est manifesté par l’attitude découragée et déprimée de certaines personnes quand les nouvelles de la reddition de Dumouriez arrivèrent en Angleterre. Voilà donc ce que l’on considère comme un signe de mécontentement et comme une préférence pour les doctrines républicaines ! Que des hommes soient tristes et abattus quand ils apprennent que les armées du despotisme ont triomphé d’une armée combattant pour la liberté, si cet abattement est la preuve que des hommes sont mécontents de la Constitution anglaise et ligués avec les étrangers pour la détruire, je me dénonce moi-même et je me livre comme un coupable à mon pays, car j’avoue librement que lorsque j’entendis parler de la capitulation ou de la retraite de Dumouriez, lorsque j’appris la possibilité de la victoire des armées de l’Autriche et de la Prusse sur les libertés de la France, mon esprit fut triste et je fus abattu. Comment un homme qui aime la Constitution de l’Angleterre, qui en porte les principes dans son cœur, peut-il souhaiter le succès du duc de Brunswick après la lecture de son manifeste qui viole toutes les doctrines qu’un Anglais tient pour sacrées, qui foule aux pieds tout principe de justice, d’humanité, de liberté et de vrai gouvernement, et au nom duquel les armées coalisées entrèrent dans le royaume de France, où elles n’avaient rien à faire ? Et lorsqu’il parut que ces armées avaient des chances de succès, pouvait-il y avoir un seul homme ayant vraiment des sentiments anglais qui ne fût pas triste ? Je l’avoue hautement, je n’ai jamais éprouvé en ma vie une plus sincère tristesse et plus d’abattement, car je voyais, dans le triomphe de cette conspiration, non seulement la ruine de la liberté en France, mais la ruine de la liberté en Angleterre, la ruine de la liberté de l’homme. »

Il proclamait, le 14, la grandeur de la France : « Quiconque me prête l’opinion que l’agrandissement de la France est chose indifférente à mon pays, se méprend sur moi grossièrement. La France s’est certainement agrandie. Elle a déconcerté les prédictions de ce gentleman qui, durant la dernière session, en parlant des adversaires de la Grande-Bretagne sur le continent, s’est écrié : « il n’y a de danger d’aucun côté ; quand je regarde la carte de l’Europe j’y vois un vide autrefois appelé France ». Ce vide, le gentleman doit avouer maintenant qu’il s’est rempli. Je ne veux point rappeler les traditions militaires des Français. Ils se sont souvent conduits de telle sorte que je crois que le pouvoir de la France peut être redoutable à notre pays. Elle était formidable sous la monarchie, quand elle était l’alliée de l’Espagne et l’amie de l’Autriche. Mais la France avec ses finances presque ruinées, la France en hostilité avec l’Autriche et pas certainement en amitié avec l’Espagne, est plus formidable maintenant : elle est plus formidable par ses libertés dont les effets dépassent tout calcul humain. Tous les habitants de l’Europe qui ont quelque intérêt à la cause de la liberté, sympathisent avec les Français et souhaitent leurs succès, parce qu’ils voient en eux des hommes qui luttent contre les tyrans et les despotes pour se donner un gouvernement libre. »