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les prisonniers de l’Abbaye sans distinction, à l’exception de l’abbé Lenfant, que vous mettrez en lieu sûr. À l’Hôtel de Ville, le 2 septembre, signé : Panis, Sergent, administrateurs. »

C’est donc en face d’un nouveau gouvernement révolutionnaire qui continuait avec une audace agrandie la Commune du Dix Août, que se trouvait Robespierre. Et puisque les premières nouvelles défavorables, puisque les premiers périls avaient suscité ce gouvernement, quelle force n’aurait-il pas si la crise nationale s’aggravait ? Ainsi, soit que le pouvoir révolutionnaire de la Commune se perpétuât sous une forme explicite, soit que, même transformée et ramenée peu à peu à des proportions légales elle exerçât seulement une action indirecte, une pression sur les pouvoirs constitués, la Commune apparaissait dès lors comme un élément décisif de la Révolution. À cette force il fallait donner une politique. Elle ne pouvait se borner à tuer des prisonniers. Et c’est alors que Robespierre intervint pour tirer de cette force révolutionnaire de la Commune un effet politique décisif. Il me semble à peu près certain que Robespierre a espéré, à ce moment, la destruction presque complète de la Gironde, j’entends la destruction de son influence politique. Il était convaincu qu’elle était un grand péril pour la Révolution, qu’elle en amollissait les énergies dissipées en vaines intrigues d’ambition. Il souffrait à l’idée de la rencontrer puissante, dominant encore peut-être dans la prochaine Convention. Quel coup de partie si on pouvait lui en fermer les portes ! Or, au moment même où se produisaient les événements de septembre les élections étaient commencées ; le 26 août avait eu lieu le choix des assemblées électorales, et elles procédaient lentement à l’élection des députés. Supposez que quelques-uns des chefs de la Gironde soient discrédités et enveloppés dans une accusation de trahison ; sur tout le parti jaillira un discrédit mortel. Et les candidatures girondines pourront être écartées non seulement à Paris, mais en province. Ou même, si les assemblées électorales nomment des hommes favorables à la Gironde, ils seront obligés de la désavouer ; et c’est une majorité dévouée à Robespierre qui arrivera à la Convention.

Lorsque le Conseil de surveillance, dans la journée du 5 décembre, alla jusqu’à lancer contre Roland un mandat d’amener que Danton écarta, il ne faisait en somme qu’appliquer à outrance la politique de Robespierre. À peine la Convention était-elle réunie, Robespierre traça le programme de la nouvelle Assemblée ; et c’est surtout la destruction de la Gironde qu’il propose :

« Citoyens, voulez-vous éviter de nouvelles erreurs et de nouvelles calamités ? Commencez par reconnaître le changement que la dernière révolution a apporté dans votre situation. Avant l’abolition de la noblesse et de la royauté, les intrigants qui ne songeaient qu’à élever leur fortune sur les ruines de la Cour combattaient à côté des amis de la liberté, et partageaient avec eux le titre de patriotes. De là les diverses métamorphoses de tant de