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peuvent savoir si l’alarme n’y a pas précédé la proclamation des ministres. La vérité est que l’alarme la plus sérieuse est répandue parmi les gentlemen du pays, parmi les fermiers… Durant les six dernières semaines que j’ai passées en Écosse, j’ai eu la visite de gentlemen de toutes les parties du pays, de grands manufacturiers, de magistrats, qui tous m’ont parlé de la nécessité de prendre des mesures pour rétablir la confiance. Ceux qui proposent l’exemple de la France ne veulent pas seulement imiter l’objet de la Révolution, mais encore ses moyens. »

Burke, dont l’autorité grandissait à mesure que s’enflammait la passion contre-révolutionnaire, s’applique, lui aussi, à irriter la peur des possédants. C’est la tactique commune de tous ceux qui veulent instituer en Angleterre une politique de réaction et de répression. Craignaient-ils vraiment le bouleversement des propriétés ? Ou bien, ayant vu qu’en France c’est la bourgeoisie riche et une partie de la noblesse qui avaient suscité et encouragé la Révolution, voulaient-ils épouvanter les hautes classes et les classes moyennes anglaises, bien assurés que si le mouvement se réduisait aux « basses classes » (lower classes), ils en auraient aisément raison ?

Burke fait apparaître au seuil du Parlement le spectre honni et flétri du pauvre, du mendiant. Est-ce ce pauvre, est-ce ce mendiant, ennemis naturels de la propriété dont ils sont exclus, que l’on veut introduire, au nom des Droits de l’homme, dans la cité ?

Les paroles brutales, offensantes, inhumaines de Burke, qui choquaient encore et scandalisaient il y a quelques mois, étaient acclamées maintenant.

« Les droits de l’homme sont fondés sur des abstractions métaphysiques ; ils sont vrais à certains égards et également faux à d’autres. Ils sont comme le cou d’un canard, bleu d’un côté, noir de l’autre. Là où la connaissance de ces droits est répandue dans la multitude, je ne puis que trembler pour les conséquences ; et je ne puis entendre, sans une émotion d’horreur, l’application qui en est faite à la propriété dans de fréquentes discussions sur la Révolution française. C’est cette sorte d’application qui cause les pires horreur de la Révolution française (Écoutez ! écoutez !). Je vois que la Chambre non seulement approuve mes sentiments sur ce sujet, mais qu’elle les accueille avec des acclamations, mais je n’obtiendrais point le même succès si je prêchais ces doctrines à un mendiant.

« Si je disais à un homme : J’ai une bonne maison, un excellent attelage, un fin mobilier, des tableaux, des tapisseries, des dentelles, de la vaisselle d’or, des mets délicieux, mais vous, vous n’avez pas à dîner ; je crains de trouver quelque difficulté à le convaincre que le superflu dont je viens de lui parler ne doit pas être employé à la satisfaction de ses besoins. Les temps seront donc pleins d’alarmes quand les idées françaises auront prévalu, et la propriété subira le même transfert qu’elle a subie dans cette misérable nation. »