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qu’ils aient secoué la tyrannie du plus terrible despotisme et qu’ils soient devenus libres ? Sûrement, nous ne devons pas désirer que la liberté soit accaparée par nous. »

Pitt assistait, impassible, à la lutte des deux hommes. La décomposition commençante du parti whig lui livrait l’avenir. La voie moyenne où s’engageait Fox était impossible à tenir. Les démocrates ardents ne voulaient pas se borner à admirer la Révolution : ils voulaient l’imiter tout de suite, non pas sans doute brutalement, mais hardiment : ils voulaient appliquer à l’Angleterre le principe de la souveraineté nationale et de la démocratie, et contre leurs prétentions, contre le livre audacieux de Paine où elles étaient formulées, toutes les puissances conservatrices de l’Angleterre se soulevaient. La politique intermédiaire de Fox eût été peut-être praticable si la Constitution de 1791 avait duré, si la Révolution française était entrée dans une période d’équilibre légal et de développement paisible.

Mais le 20 juin et le 10 août éclataient comme des coups de foudre. La Révolution semblait avoir je ne sais quelle impatience électrique. Elle attirait et elle défiait le monde : Avec moi ou contre moi ! Ainsi, le moindre souffle de réforme qui passait sur l’Angleterre y portait les étincelles de l’incendie voisin. Fox s’épuisait en vain, dans la lutte la plus généreuse et la plus noble, à maintenir la liberté traditionnelle de l’Angleterre, à protéger Paine, dont il désavouait d’ailleurs les doctrines, contre la violence et l’arbitraire des juges, à protester contre le langage provocateur des Sociétés contre-révolutionnaires anglaises. Il était comme submergé par une vague croissante de réaction.

« Voici maintenant, s’écriait-il le 13 décembre 1792, la crise que je crois vraiment redoutable. Nous sommes venus à un moment où la question se pose, si nous allons donner au Roi, c’est-à-dire au pouvoir exécutif, tout pouvoir sur nos pensées ; si nous allons résigner l’exercice de nos facultés naturelles aux ministères de l’heure présente, ou si nous maintiendrons qu’en Angleterre aucun homme n’est criminel que s’il commet des actes défendus par la loi. Voilà ce que j’appelle une crise plus dangereuse, plus redoutable, qu’aucune de celles que nous offre l’histoire de ce pays. Je n’ignore pas assez l’état présent des esprits et les ferments artificieusement créés pour ne pas savoir que je soutiens ici une opinion bien près d’être impopulaire. Ce n’est pas la première fois que j’ai encouru le même hasard. Mais je veux résister au courant de l’opinion populaire. Je veux agir contre le cri du moment, dans la confiance que le bon sens et la réflexion du peuple sauront me soutenir.

« Je sais bien qu’il y a des Sociétés qui ont publié des opinions, et mis en circulation des pamphlets contenant des doctrines qui tendent, si vous le voulez, à renverser nos institutions. Je dis qu’elles n’ont rien fait d’illégal en cela ; car ces pamphlets n’ont pas été supprimés par la loi. Montrez-moi la loi qui ordonne que ces livres seront brûlés, et je reconnaîtrai l’illégalité