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l’Europe se jouaient peut-être en ce moment. Qui sait si un parti whig, uni et fort, n’aurait pas réussi à modérer les mouvements de l’opinion anglaise et amené à mettre en garde la France révolutionnaire contre des imprudences de parole qui compromirent la cause de la paix ? Fox se leva, ému jusqu’aux larmes par cette brusque rupture d’une amitié déjà ancienne.

« Il y a eu entre nous, dit-il, bien des divergences d’opinions, qui ne nous ont point brouillé : mon honorable ami dira pourquoi nous ne pouvons, sans rupture d’amitié, différer sur la Révolution française comme sur d’autres sujets. »

C’est, qu’en vérité, il ne s’agissait point là d’un dissentiment secondaire ; c’était un abîme qui s’ouvrait.

« Je ne puis croire que la conduite de mon honorable ami procède du désir de m’offenser. Mais elle produit le même effet. Car mes contradicteurs affectent de considérer comme des principes républicains les principes que j’ai essayé d’introduire dans la nouvelle Constitution du Canada, et ils en sont bien loin : et en discutant, à propos de ce bill, sur la Révolution, mon honorable ami a donné quelque crédit et quelque poids à ces accusations de mes contradicteurs. J’éprouve quelque déplaisir et une naturelle répugnance à être catéchisé sur mes principes politiques. C’est la première fois que j’entends dire à un philosophe que, pour rendre justice à l’excellence de la Constitution anglaise, il faut ne jamais parler d’elle sans outrager toute autre Constitution au monde. Pour ma part, j’ai toujours pensé que la Constitution anglaise était imparfaite et défectueuse en théorie, mais qu’en pratique elle était excellemment adaptée à notre pays. Je l’ai dit bien des fois publiquement : mais, parce que j’admire la Constitution anglaise, dois-je conclure qu’il n’y a aucune part de la Constitution des autres pays qui soit digne d’estime, ou que la Constitution anglaise n’est pas toujours susceptible de perfectionnement ? Je ne consentirai jamais à outrager toute autre Constitution, ni à exalter la nôtre de façon aussi extravagante que l’honorable gentleman semble penser qu’elle le mérite. Pour prouver qu’elle n’est pas parfaite, il suffit de rappeler les deux réformes proposées en ces dernières années : la réforme relative à la représentation au Parlement, soutenue par le chancelier de l’Échiquier (Pitt), en 1783, et la réforme de la liste civile soutenue par mon honorable ami…

« Je rappelle à mon honorable ami, si enthousiaste de notre Constitution, qu’en 1783, quand le discours de la Couronne s’affligea que les colonies anglaises, séparées de la métropole, fussent privées des bienfaits de la monarchie, il ridiculisa ce discours et il le compara au propos d’un homme qui, sortant d’un salon et ouvrant la porte, dirait : « À mon départ, laissez-moi vous recommander une monarchie ». Les Français ont fondé leur nouveau gouvernement sur le meilleur des principes de gouvernement, le bonheur du peuple. Les Français sont une grande nation qui se réjouirait