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à se compromettre avec elle. Fox, averti de ce dessein, alla trouver Burke le matin du 21 avril et lui dit :

« Je sais que Pitt a tenté de me desservir auprès du roi en me présentant comme un républicain. Prenez garde ! Vous allez faire le jeu de Pitt en jetant dans le Parlement la question de la Révolution française. »

Mais Burke avait pris son parti d’une rupture, et dans la séance du 6 mai, sans y être provoqué par aucune parole, il attaqua à fond la Révolution française. Fox répondit avec fermeté que la discussion de Burke était hors de propos, et qu’il ne se prêterait pas à ce jeu : mais que si Burke voulait instituer sur la Révolution française un débat précis, il serait aisé de démontrer qu’on pouvait admirer la Révolution sans être tenté de l’imiter.

« Que ceux qui disent qu’on désire imiter ce que l’on admire montrent d’abord que les circonstances sont les mêmes dans les deux pays. Il incombe à mon honorable ami de montrer que notre pays est dans la situation précise de la France au temps de la Révolution française, avant d’avoir le droit d’user de cet argument. Quand il aura fait cela, je suis prêt à dire que la Révolution française doit être un objet d’imitation pour notre pays… Si le Comité décide que mon honorable ami peut poursuivre sa discussion sur la Révolution, je quitterai la Chambre, et si quelque ami veut bien m’envoyer un mot quand le bill de Québec reviendra en discussion, je rentrerai pour le discuter… Et quand le moment convenable pour un débat de cette sorte sera venu, si faibles que soient mes moyens, comparés à ceux de mon honorable ami, je maintiendrai, contre la force supérieure de son éloquence, que les Droits de l’Homme, que mon honorable ami a ridiculisés, comme n’étant que la chimère d’un visionnaire, sont, en fait, la base et le fondement de toute Constitution rationnelle, et même de la Constitution anglaise elle-même, comme le prouve le livre des statuts. »

Ainsi, Fox était comme partagé entre l’instinct de prudence, qui lui conseillait d’éviter ce débat terrible, et l’entraînement généreux de sa pensée, il avait blessé cruellement Burke en disant « qu’il avait été averti, par les plus hautes et les plus respectables autorités, que discuter à la hâte, et sans information, de graves événements ne faisait honneur ni à la plume qui écrivait, ni à la langue qui parlait ».

Quoi ! Burke ne connaissait donc pas l’histoire vraie de la Révolution française ! et c’était un ami qui l’offensait aussi gravement ! Soit que son esprit se fût aigri, soit qu’il cherchât prétexte à enfoncer de plus en plus le Parlement dans cette querelle, Burke se répandit de nouveau en invectives amères contre la France. Et se tournant vers Fox, il lui cria : « Fuyez, fuyez la Constitution française… — Est-ce donc une rupture d’amitié ? demanda Fox à demi-voix. — Oui, c’est une rupture d’amitié. »

Minute tragique, car ce déchirement du parti whig va laisser sans contre-poids les passions conservatrices de l’Angleterre. Les destinées de