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Or, à mesure que les événements se développent, les hommes libéraux et éloquents, les Fox, les Sheridan, les Grey, qui défendaient au Parlement là Révolution française et le principe d’une sage réforme constitutionnelle, sont de moins en moins écoutés. Leur voix est couverte par des clameurs croissantes, et une grande part de leurs amis fait défection. Eux-mêmes, d’ailleurs, n’osaient pas proposer un régime de démocratie : et il semble qu’ils s’engagent à regret dans la lutte. Il est visible que Fox ne recherchait pas le débat, ou, du moins, qu’il ne voulait pas le pousser à fond. Il admirait la Révolution française. Il célébrait, à la Chambre des Communes même, l’héroïsme des combattants du 14 Juillet. Il allait jusqu’à dire dans la séance du 15 avril 1791 :

« J’estime que le nouveau gouvernement de France est bon parce qu’il tend à rendre heureux ceux qui y sont soumis… Je sais que le changement de système qui s’est produit dans ce pays a provoqué les opinions les plus diverses : mais, pour moi, je tiens à dire que j’admire la nouvelle Constitution de France, considérée en son ensemble, comme le plus prodigieux et le plus glorieux édifice de liberté qui ait été élevé sur le fondement de l’intégrité humaine en aucun temps et en aucun pays (As the most stupendous and glorious edifice of liberty, which had been erected on the foundation of human integrity in any time or country). »

C’était un magnifique témoignage, mais ce n’était, en quelque sorte, qu’un incident de parole. Fox se gardait bien de faire application à l’Angleterre des principes de la Révolution française. Même dans la première discussion sur le bill de Québec, dans la séance du 6 avril 1791, il ne fit qu’une très légère allusion à la France. Et pourtant, le Canada ayant été possession française, il eût été assez naturel, quand on discutait sur la nouvelle Constitution canadienne, de parler de la nouvelle Constitution française. Fox se borna à dire qu’il était singulier de créer des ordres nobiliaires au Canada au moment où la noblesse était abolie en France ; et, au demeurant, c’est surtout aux républiques américaines qu’il emprunta la plupart de ses exemples et de ses arguments.

Que voulait-il donc ? Évidemment il n’avait pas renoncé encore, en 1791, à l’espoir de rentrer au ministère : il ne voulait ni offenser le roi, ni effrayer en Angleterre les amis de la Constitution en proposant comme règle la politique française. Il espérait seulement que l’exemple de la France agirait d’une façon en quelque sorte insensible sur les esprits, et que les éléments populaires de la Constitution anglaise seraient peu à peu renforcés sans crise, et presque sans combat. Mais Burke devinait cette tactique de pénétration et d’enveloppement : et c’est elle qu’il redoutait le plus. Il se hâta d’amener au Parlement même un éclat.

Au risque de se brouiller mortellement avec Fox, son disciple et son ami, il voulut l’acculer, l’obliger ou à désavouer la Révolution française ou