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inexpérimentés peuvent se figurer que « cet exemple, couronné d’un tel succès, a été donné en vain au monde. Ne voyons-nous pas quelle fermentation des esprits en est résultée précisément chez ces Anglais, qui étaient si fiers de leur Constitution et, eu égard à celle des autres pays, avaient le droit de l’être ? Si le bois vert s’allume ainsi, que sera-ce du bois sec ? »

Déjà Thomas Paine, à la fin de son livre sur les Droits de l’Homme, avait annoncé toute une germination d’idées de liberté.

« L’homme, dit-il, qui, à la fin de l’hiver, a cueilli une branche dans la forêt et sur cette branche constate un bourgeon prêt à s’ouvrir, doit bien s’imaginer que sur toutes les autres branches d’autres bourgeons aussi sont près d’éclore. Ainsi les pensées nouvelles qui s’éveillent en l’un de nous sont le signe que des pensées analogues commencent à s’ouvrir en beaucoup d’esprits. »

Mais c’étaient là des conjectures bien incertaines, car la végétation des idées n’obéit pas à des lois de simultanéité, à des crises de saison comme la végétation naturelle, et dans la grande forêt humaine, remuée par les souffles nouveaux, l’éclosion de quelques bourgeons est parfois singulièrement hâtive, et devance de loin le travail des sèves et des esprits. Godwin, dans le chapitre 1er du 4e livre de Enquiry concerning political justice, rédigé de 1791 à 1793, dit ceci :

« Rien n’est plus facile, pour un homme d’un tempérament un peu vif, que de s’exagérer à lui-même la force de son parti. Il n’a peut-être de relations qu’avec des hommes qui pensent comme lui, et un tout petit nombre d’individus lui paraît être le monde entier. Demandez à des hommes de tempéraments différents et d’habitudes de vie différentes combien il y a, à cette heure, de républicains en Écosse et en Angleterre, et vous vous heurterez immédiatement aux réponses les plus contradictoires. »

Combien de républicains ? Il suffisait qu’on pût se poser cette question pour être sûr qu’il y avait dans l’esprit anglais une grande agitation et un grand trouble. Dans les commencements de 1792 se manifestaient partout des forces d’opposition. Les Sociétés politiques pullulèrent dans tout le royaume. Le cordonnier Thomas Hardy, Écossais de naissance, établi à Londres, fondait, le 25 janvier, la Société des Correspondants de Londres, divisée en sections de quarante-cinq membres, et étendant ses rameaux dans tout le pays. Au dire de Hardy, elle comptait à la fin de l’année vingt mille membres, « nombre qui dépasse de beaucoup le corps entier d’électeurs dont dépend une majorité à la Chambre des Communes ».

Mais à ces mouvements de réforme s’opposaient des forces de résistance et de conservation formidables. Quelque oligarchique que fût la Chambre des communes, elle eût cédé, au moins en partie, aux forces de démocratie et de progrès si celles-ci avaient été dominantes.