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homme ! Les mercenaires s’enfuirent, elle chassa ses ennemis et rossa bientôt les despotes, homme !

« Que l’Angleterre se vante de son chêne robuste, de son peuplier, de son sapin, homme ! La vieille Angleterre jadis pouvait rire, et briller plus que ses voisins, homme. Mais cherchez et cherchez dans la forêt, et vous conviendrez bientôt, homme, qu’un pareil arbre ne se trouve pas entre Londres et Tweed, homme ! »

Et Burns termine par des paroles âpres, mais tempérées d’une belle espérance.

« Sans cet arbre, hélas ! cette vie n’est qu’une vallée de chagrin, homme, une scène de douleur mêlée de labeur ; les vraies joies nous sont inconnues, homme, et tout le bonheur que nous aurons jamais est celui au delà de la tombe, homme !

« Avec beaucoup de ces arbres, je crois, le monde vivrait en paix, homme, l’épée servirait à faire une charrue, le bruit de la guerre cesserait, homme ; comme des frères en une cause commune, nous serions souriants l’un pour l’autre, homme, et des droits égaux et des lois égales réjouiraient toutes les lies, homme !

« Malheur au vaurien qui ne voudrait pas manger cette nourriture délicate et saine, homme ! Je donnerais mes souliers de mes pieds pour goûter ce fruit, je le jure, homme. Prions donc que la vieille Angleterre puisse planter ferme cet arbre fameux, homme, et joyeusement nous chanterons et saluerons le jour qui nous donne la liberté, homme ! »

Ainsi, par Wordsworth, par Coleridge, par Burns, nous voyons qu’en bien des âmes nobles la Révolution faisait une impression profonde. Ce n’était pas seulement l’esprit des hauts juristes comme Mackintosh qui était ému par la logique de l’idée de démocratie. C’étaient les cœurs de poètes qui s’animaient pour la liberté, pour l’humanité, pour l’universelle paix. N’y avait-il là que la sublime émotion de quelques intelligences d’élite ? ou bien traduisaient-elles un mouvement plus vaste ? Était-ce le jaillissement de sources solitaires ou bien ces vives eaux révélaient-elles une grande nappe profonde de révolution ?

Les contemporains étaient très partagés sur la force et l’étendue du mouvement révolutionnaire anglais. Selon les uns, il était restreint et superficiel ; selon les autres, au contraire, il était capable de tout renouveler et de tout emporter. Le délégué suisse dont j’ai parlé, Dehuc, écrit de Londres à ses concitoyens : « Ne croyez point ceux qui vous disent qu’ici une Révolution se prépare. » Mais c’est l’indice que des rumeurs inquiétantes se répandaient en Europe.

Wieland, pour avertir les princes allemands de la nécessité des réformes, note, en janvier 1793, les commotions de la terre anglaise. La chute de Louis XVI est un exemple formidable, et seuls les hommes d’État les plus