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bien comment vivent les gens qui ont la richesse, mais sûrement il faut que les pauvres gens soient misérables.

Et les aristocrates sont aussi frivoles que leurs intendants sont durs.

Ah ! gars, tu ne sais rien de tout cela : le bien de l’Angleterre ! ma foi, j’en doute. Dis plutôt qu’il marche comme le premier ministre le mène ; qu’il dit oui ou non comme on lui commande, paradant aux opéras et aux théâtres, hypothéquant, jouant, mascaradant ; ou peut-être, un jour de caprice, il part pour la Haye ou Calais, pour faire un tour et prendre l’air, apprendre le bon ton et voir le monde. Là, à Vienne ou à Versailles, il délabre la vieille succession de son père… Le bien de l’Angleterre ! Dis sa destruction par la dissipation, la discorde et les factions ! »

Parfois, il raille « une gentry stupide, à la tête de liège, sans grâce, la dévastation et la ruine de la contrée, des hommes faits à trois quarts par leurs tailleurs et leurs barbiers » ; ou encore « le comte féodal, hautain, sa chemise à jabot et sa canne brillante, qui ne se croit pas fait d’os vulgaires, mais marche d’un pas seigneurial, tandis qu’on ôte chapeaux et bonnets quand il passe ». Mais ce n’est pas seulement la raillerie, c’est l’invective amère : c’est un mélange saisissant de mélancolie et de colère, c’est parfois presque une menace :

« Pourquoi, s’écrie-t-il au moment d’une élection, pourquoi plierions-nous devant les nobles ? Cela est-il contre la loi ? Car quoi ? un lord peut être un idiot, avec son ruban, sa croix et tout cela. Malgré tout cela, malgré tout cela, à la santé de Héron (de Fox), malgré tout ! Un lord peut être un chenapan avec son ruban, sa croix et tout cela. »

C’est au comte de Breadalbane qu’il adresse un avertissement sanglant :

« Longue vie et santé, mylord, soient vôtres, à l’abri des paysans des Hautes Terres ! Fasse le Seigneur qu’aucun mendiant désespéré, déguenillé, avec un dyrk, une claymore ou un fusil rouillé, ne prive la vieille Écosse d’une vie qu’elle aime — comme les agneaux aiment un coutelas ! »

Et de quel accent gémit le vieux paysan accablé : « Le soleil, suspendu au-dessus de ces landes qui s’étendent profondes et larges, où des centaines d’hommes peinent pour soutenir l’orgueil d’un maître hautain, je l’ai vu ce bas soleil d’hiver, deux fois quarante ans, revenir ; et chaque fois m’a donné des preuves que l’homme fut créé pour gémir.

«…Vois ce malheureux surmené de labeur, si abject, bas et vil, qui demande à son frère, fait de terre comme lui, de lui permettre de peiner. Et vois ce ver de terre altier, son compagnon, dédaigner la pauvre prière, insoucieux qu’une femme en pleurs et des enfants sans soutien gémissent.

« Si j’ai été marqué comme l’esclave de ce seigneur, marqué par la loi de la nature, pourquoi un souhait d’indépendance fut-il planté dans mon