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au 10 août il avait laissé la Commune agir seule et seule se risquer. Il ne s’était joint à elle qu’au lendemain de la victoire. Et avec une habileté infinie il s’était servi de cet effacement même pour flatter la Commune. C’est elle, elle seule qui avait sauvé la patrie ; et Robespierre savait, si je puis dire, faire valoir sa propre absence pour ajouter à l’orgueil révolutionnaire de la Commune du 10 Août. Qu’ils étaient grands ces hommes, puisqu’ils avaient un titre auquel Robespierre lui-même ne pouvait prétendre ! Mais le 1er septembre, tout en les couvrant encore de témoignages flatteurs auxquels ils étaient très sensibles, tout en leur apportant un plaidoyer puissant que dans l’état un peu incertain de l’opinion ils accueillirent avec reconnaissance, Robespierre avait paru fléchir.

Il avait douté du droit de la Commune. Il lui avait conseillé de s’incliner sous le décret de dissolution. Il l’avait ainsi considérée, en somme, comme une force épuisée. Or voici que le surlendemain même du décret qui la frappait, elle manifestait une vitalité extraordinaire. L’Assemblée, hésitante et troublée, remaniait son décret. Et surtout, au premier vent de défaite et d’héroïsme, cette Commune révolutionnaire, qu’on avait cru enfouie sous une cendre de légalité, jaillissait de nouveau comme une grande flamme. C’est elle qui prenait, pour ainsi dire, la direction de la défense nationale. C’est elle qui mettait Paris debout. À ne point se solidariser avec elle, Robespierre perdait tout contact avec le peuple, avec la force de vie. Et voilà pourquoi Robespierre se hâtait de flatter la passion de haine que la Commune portait à la Gironde. Au moment où, par la crise de la patrie, ceux-là étaient perdus qui étaient suspects de trahison ou même de tiédeur, il fournissait à la Commune l’argument le plus terrible contre la Gironde, prétendue complice et servante de Brunswick. Il excellait à ces coups empoisonnés et mortels.

Quand Lafayette était au plus bas, quand il était méprisé et haï, c’est avec Lafayette que Robespierre, par d’ingénieuses déductions et des raisonnements perfides, solidarisait la Gironde. Maintenant Lafayette s’est évanoui. Et la prison autrichienne, refermée sur lui, le préserve un peu de l’impopularité violente. D’ailleurs, en votant sa mise en accusation, les Girondins ont rompu le nœud mortel dont Robespierre les liait au général feuillant. Brunswick est au premier plan des haines. C’est donc avec Brunswick qu’il faut solidariser la Gironde. Quelle arme plus formidable aurait pu trouver Robespierre contre ses rivaux ? Et quelle volupté plus âpre aurait-il pu procurer à la Commune qu’il voulait s’attacher ? Cela le dispensait de se solidariser expressément avec elle ou avec son Comité de surveillance dans l’œuvre de sang qui s’accomplissait à l’Abbaye, à la Conciergerie. Sa haine contre la Gironde suffisait à tout. Elle le rendait pour ainsi dire impénétrable aux événements, elle le protégeait contre toute autre responsabilité immédiate.

Mais Robespierre ne cherchait pas seulement en cette soirée du 2 septembre, à nouer entre la Révolution parisienne et lui un lien de fer et de