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sité ce sera un devoir. Il est impossible que dans les impôts qui ont été versés pendant toute sa vie par le travailleur, il n’y ait pas une part destinée à se reproduire et à se capitaliser à son profit pour l’heure de la fatigue et de l’impuissance.

Ainsi, de cette pension de retraite que l’État servira à tous les travailleurs à partir de cinquante ans, il faut, suivant l’expression même de Paine, « parler non comme d’une aumône mais comme d’un droit ». Cette pension, destinée à combler en quelque sorte la lacune de la force de travail, ira croissant de cinquante à soixante-dix ans, à mesure que la force de travail décroîtra. Ce sera une dépense sensiblement égale à celle que l’État a déjà assumée pour les enfants. Que l’on songe bien que l’Angleterre n’avait alors que sept millions d’habitants, et que son budget était de 16 millions de livres, c’est-à-dire de 400 millions de francs. C’est près de la moitié du budget que Paine affectait aux œuvres sociales, à l’organisation d’une vaste assurance qui, par les secours d’enfance et d’éducation, par les ateliers publics et par les pensions d’invalidité et de vieillesse, préserverait les travailleurs, d’un bout à l’autre de la vie, de l’ignorance, du chômage et de la misère. Appliqué dans la proportion du budget d’aujourd’hui, le système de Paine impliquerait, pour à France, l’affectation de plus de douze cents millions par année aux œuvres de mutualité sociale. Ce n’était ni vague ni chimérique, puis qu’aujourd’hui, dans les États modernes, un des plus grands soucis de la démocratie est d’obtenir une législation d’assurance sociale et d’y faire contribuer le budget. Et il est tout à fait saisissant de voir que dès 1791, et sous l’invocation des Droits de l’homme, un plan de législation a été tracé auquel s’applique, un siècle après, l’effort des démocraties imprégnées de socialisme. Jamais la fécondité sociale de la Révolution n’a apparu avec plus d’éclat.

Il est vrai que, tant que les budgets de la guerre absorberont, dans les États modernes, une si grande part des ressources nationales, il semble insensé d’espérer que les grandes œuvres sociales puissent être largement subventionnées. Mais cela, Paine l’avait déjà compris, et il le dit avec une force, avec une netteté admirables. La guerre est, pour lui, le grand ennemi ; et c’est une politique de désarmement simultané qu’il propose aux peuples libres. Peut-être assigne-t-il aux guerres des causes trop particulières et trop superficielles. Il est certainement injuste envers Pitt lorsqu’il lui attribue une sorte de frénésie permanente de desseins belliqueux. La guerre, selon lui, est une occasion, ou mieux un prétexte, pour les rois et leurs ministres, d’élever les taxes et de diminuer les libertés. « La guerre est la moisson des rois. » Paine ne tenait point assez compte ou des contrariétés profondes des intérêts économiques ou de l’inévitable orgueil collectif des nations et des démocraties mêmes. Mais c’est d’un vouloir ferme et précis qu’il s’attachait à détruire la guerre. Il lui semblait que si la France, l’Angleterre et la République des États-Unis formaient l’alliance des peuples libres, il serait possible à ces trois