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citer les passages nombreux, les textes décisifs qui avaient, si je puis dire, bien avant le 2 septembre, séché jusqu’à la racine la calomnie que Robespierre propageait de nouveau.

J’ai voulu, et il le fallait, montrer comment ni M. Hamel, qui est si minutieux d’habitude dans ses citations quand il faut défendre Robespierre, ici a glissé vite. Ah ! qu’aurait dit Robespierre lui-même, le grand calomniateur si calomnié, s’il avait su qu’au moment même où il enrôlait de force Carra et la Gironde au service du duc de Brunswick, il commençait à inspirer, lui, quelque confiance aux agents de la reine ? Fersen écrit le 6 septembre au baron de Breteuil qu’il est permis d’espérer qu’une partie des membres du tribunal révolutionnaire du 17 août le quitterait « à l’exemple de leur président Robespierre, qui a donné sa démission et qui parait vouloir devenir moins scélérat. Ce Robespierre a un grand parti parmi les Jacobins et peut-être pourrait-on profiter de cette désunion (la brouille de Pétion et de Robespierre dont Fersen travestit les motifs) ; mais il faudrait que ce fût avec de grandes précautions pour ne pas exposer encore la famille royale. »

Voilà Robespierre devenu soudain pour les confidents de la reine une espérance, parce qu’en refusant la présidence du tribunal criminel il a paru, à ceux qui regardaient de loin, désavouer la violence révolutionnaire. Que de rumeurs affolantes et insensées ! Mais une des plus insensées, à coup sûr, est celle que Robespierre, à la séance de nuit du 2 septembre, portait à la Commune. Non, quelle que fût sa défiance, quelle que fût sa sombre crédulité aux choses mauvaises, il n’est pas possible qu’il ait pris au tragique le propos de Carra que j’ai cité. Et c’est bien délibérément, c’est de parti-pris, c’est pour un grand dessein politique qu’il a jeté, à cette heure, cette accusation.

Quel était ce dessein ? Louis Blanc, qui ne connaît pas le procès-verbal de la Commune où l’intervention si importante de Robespierre est consignée, croit que c’est Marat qui a décidé la perquisition chez Brissot. Il écrit : « Le Comité de surveillance que Marat dominait, avait eu l’audace d’ordonner ce jour-là une descente chez Brissot dont les papiers furent saisis avec une extrême insolence. » Or, il est certain que Marat, entré brusquement au Comité de surveillance de la Commune en cette journée du 2 septembre, y exerçait une action décisive. Il est probable que le mandat de perquisition chez Brissot fut signé du Comité de surveillance. Mais c’est surtout Billaud-Varennes et Robespierre qui formulèrent contre Brissot l’accusation décisive. C’est Robespierre que, dès le lendemain, Brissot rend manifestement responsable des perquisitions opérées chez lui. Et enfin, dans le discours du 4 novembre, Robespierre ne conteste pas qu’il ait mis en cause quelques Girondins. Son but était double. Il voulait d’abord maintenir le contact entre la Commune, puissance étonnamment vivace, et lui. Il ne pouvait, sans être soupçonné de tiédeur, rester à l’écart en ce jour terrible. Déjà, dans la nuit héroïque du 9