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calisme politique à tendance sociale qui jouera un si grand rôle dans l’Angleterre du dix-neuvième siècle. La deuxième partie du livre de Paine, celle qui parut en février 1792, contient plus que de « vagues conceptions sociales », elle contient tout un plan d’organisation dans l’intérêt des pauvres. Non seulement, Paine s’indigne contre les lois d’enrôlement forcé qui permettent de « traîner des hommes dans les rues comme des captifs ». Non seulement, il s’élève contre les lois du domicile et du certificat faisant de chaque paroisse une citadelle d’égoïsme qui repousse l’ouvrier venu d’une autre paroisse ; Non seulement, il s’indigne contre la barbarie des règlements qui renvoyaient à la paroisse d’origine, « sur un misérable chariot ». la veuve de l’ouvrier pauvre mort dans une autre paroisse. C’est toute la législation sur les pauvres qu’il veut abolir. Elle lui apparaît comme un appareil d’inquisition et de torture appliqué à la classe ouvrière, et, suivant sa forte expression, « un instrument de question civile ».

Mais s’il veut détruire cette réglementation étroite et barbare, ce n’est pas pour laisser les pauvres, les salariés, livrés à tous les hasards d’une fausse liberté et à l’abandon. Paine parle avec admiration de l’œuvre d’Adam Smith et il adopte les principes du libéralisme économique : il est contre la corporation, contre le monopole et le privilège ; mais il corrige la doctrine de la concurrence par une rigoureuse intervention sociale au profit des faibles, au profit de tout le peuple travailleur et pauvre. Il veut créer un grand budget d’assistance et d’assurance sociales. Ce budget, c’est surtout par la limitation des héritages qu’il prétend le doter. Il faut se garder, dit-il, de limiter la fortune que chaque citoyen se procure par sa propre industrie : ce serait arrêter l’activité des hommes et le développement des richesses. Mais, lorsque la fortune est léguée, on peut instituer sur le revenu de cette fortune transmise un impôt progressif, calculé de telle sorte que, lorsque le revenu des biens transmis atteindra douze mille livres sterling, il soit totalement absorbé par l’impôt. Ainsi les testateurs auront intérêt à répartir leur héritage entre plusieurs branches ; et, en outre, des ressources importantes seront créées. Ces ressources, l’État s’en servira d’abord pour créer des ateliers publics où seront utilisés tous les ouvriers sans travail. Il s’en servira surtout pour assurer contre la misère les enfants et les vieillards.

Paine calcule que sur les sept millions d’habitants de l’Angleterre proprement dite, il y a environ 640 000 enfants de moins de quatorze ans ; et il veut que l’État alloue aux familles, par tête d’enfant et par an, quatre livres sterling (cent francs), à la condition que les familles envoient les enfants à l’école, et s’occupent de leur éducation. C’est une dépense d’environ 3 millions de livres sterling par année, ou 75 million de francs. Mais dans la plupart des métiers, les hommes, quand ils arrivent à cinquante ans, ont perdu une partie de leurs forces. Ils ne peuvent plus, dans tous les cas, assurer leur vie par le travail. L’État doit intervenir de nouveau. Ce ne sera pas de sa part une généro-