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C’est en vain que Burke essaie de faire peur à l’Angleterre des désordres sanglants, des violences anarchiques de la Révolution de France.

Il n’y a eu violence que par l’effet des provocations et des trahisons de la Cour. Ces violences, c’est la populace qui les a commises. Oui, mais au lieu de s’indigner ou de s’effarer, il faut se poser une question : Pourquoi y a-t-il une populace ? Pourquoi y a-t-il une partie du peuple dégradée et brutale ? Paine dit, comme Babeuf, que c’est parce qu’on lui a enseigne la cruauté par l’exemple même des plus abominables supplices. C’est aussi parce qu’on l’a tenue dans un effroyable degré de misère et d’ignorance pour mieux assurer la richesse, la force et l’éclat d’une minorité.

« C’est parce que quelques hommes sont indignement exaltés, que d’autres sont indignement dégradés. Une nombreuse partie de l’humanité est honteusement reléguée sur le fond du tableau humain pour faire ressortir avec plus d’éclat au premier plan le jeu de marionnettes de l’État et de l’aristocratie. Au début d’une Révolution, ces hommes effacés sont plutôt des suivants d’armée que des sectateurs de la liberté ; ils ont besoin qu’on leur apprenne à s’en servir. »

Au début ; mais le mouvement même de la Révolution élève et ennoblit cette populace : il en fait un peuple. Paine a un regard profond pour ces multitudes obscures et brutales ; il veut les appeler à la lumière, à la liberté, au pouvoir, au bien-être. Et son radicalisme politique et républicain est fortement coloré d’une sorte de socialisme d’État. On n’y a pas assez pris garde, et M. Daniel Conway, lui-même, dans son livre si substantiel pourtant sur Thomas Paine, n’a pas noté le côté social de son œuvre. L’oubli est d’autant plus étrange que Thomas Paine a été reconnu comme le vrai et grand précurseur par tout le parti de la réforme politique et sociale qui, s’essayant d’abord avec William Cobbett, prendra ensuite la forme du chartisme. Que disent de Cobbett les Sidney Webb ?

« Dans les temps difficiles qui suivirent la paix de 1815, les écrits de Cobbett avaient conquis une influence et une autorité extraordinaires sur la génération des travailleurs. Ses attaques tranchantes contre la classe gouvernante, et ses appels incessants aux salariés pour affirmer leurs droits à l’administration complète des affaires, étaient inspirés par la tyrannie politique de la réaction anti-jacobine, par la hausse des prix, etc. Pour Cobbett et ses partisans, la première chose à faire était de voter un grand bill de réforme électorale, derrière lequel, à leur idée, venait en second lieu une vague conception de réforme sociale. »

Or, c’est ce Cobbett, chef d’un radicalisme politique mêlé de réformisme social, qui se réclame de Paine et des luttes soutenues par celui-ci pour la démocratie et pour les pauvres. C’est ce Cobbett qui, en 1819, va en Amérique exhumer le cercueil de Paine et qui le conduit en Angleterre. Le livre de Paine sur les Droits de l’Homme est vraiment le premier évangile de ce radi-