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sens le plus conservateur du plus intransigeant torysme la Révolution anglaise de 1688 ?

Paine avait alors cinquante-deux ans, mais sa fougue révolutionnaire et républicaine s’exaltait dans le combat. Il écrivit, en réponse à Burke, un livre net et brutal, qui parut en deux parties et frappa, pour ainsi dire, en deux coups, en mars 1791 et en février 1792. Les Droits de l’Homme, c’était le titre auguste, commun au préambule de la Constitution américaine et au préambule de la Constitution française. C’était le lien qui rattachait la liberté de l’Amérique et la liberté de la France. À l’invective ornée et rhétoricienne de Burke, Paine oppose l’invective sèche et parfois grossière. Il déshabille de toute majesté la monarchie et l’aristocratie. Vraiment, oui, comme gémissait Burke, le temps de la « chevalerie », du cérémonieux respect était passé.

« La monarchie et l’aristocratie sont des farces, et elles vont entrer au tombeau où entrent toutes les erreurs : M. Burke s’habille de deuil. »

Le droit d’aînesse, le droit de substitution, qui faisaient la force de l’aristocratie anglaise, sont des droits monstrueux et barbares.

« Pour la famille de l’aristocratie, il n’y a en réalité qu’un enfant : les autres ne sont créés que pour être dévorés, et le cannibalisme paternel prépare lui-même le repas. »

Paine ne s’attarde pas à gémir sur le lustre des anciens noms, éteint par les révolutionnaires de France. Ils ont bien fait d’abolir tous les titres de noblesse.

« Tous ces titres de duc et de comte n’étaient que le vêtement puéril de la vanité. Maintenant, les hommes arrivent vraiment à l’âge d’homme, et ils prennent la toge virile. La Révolution n’a pas égalisé, elle a élevé. »

Le noble est plus haut, ayant cessé d’être noble pour devenir citoyen. Burke a de l’audace de prétendre limiter la souveraineté du peuple par de prétendus contrats antérieurs. En fait, pas plus que les représentants de l’Angleterre n’ont eu le droit d’imposer au peuple des subsides pour la suite des temps, ils n’ont eu le droit de lui imposer une forme de gouvernement. La souveraineté de la nation reste toujours entière, et si elle veut, non seulement limiter plus étroitement la prérogative royale, mais abolir la royauté elle-même, elle le peut.

Paine ne cache pas que le maintien de la royauté lui paraît inconciliable avec la démocratie. Celle-ci portera tôt ou tard ses conséquences naturelles, et aboutira à la République. En France, si la Révolution n’a pas encore supprimé la royauté, c’est par une sorte de déférence pour la bonté personnelle du roi, pour ses qualités d’homme. C’est aussi par un reste de préjugé qui ira s’atténuant tous les jours. Et Paine nous avertit, par une longue et importante note, que beaucoup des révolutionnaires de France avec lesquels il s’est entretenu conviennent avec lui que la royauté n’est qu’une institution