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la démocratie révolutionnaire de France ne pourra s’arrêter à la combinaison intermédiaire qu’elle a adoptée. La distinction des citoyens actifs et des citoyens passifs croulera nécessairement parce qu’elle est factice. Il n’y a pas, entre le gros des citoyens actifs et le gros des citoyens passifs, une suffisante distance sociale pour que l’inégalité politique puisse subsister. Il y a plus de trois millions d’électeurs sur six millions de citoyens. C’est trop peu pour un régime de démocratie : mais c’est beaucoup trop pour un régime d’oligarchie : et la France aboutira nécessairement à la pleine démocratie aussi bien par la force du principe qu’elle a posé, et par les droits de l’homme qu’elle a proclamés que par l’impulsion même et la vitesse acquise de sa Constitution. Burke a bien tort de triompher de l’inconséquence de la Constituante, qui, par la loi des trois journées de contribution et par le rôle que joue la propriété dans l’établissement de la représentation électorale, a réalisé seulement le droit de certains hommes, et non le droit de tous. Cette inconséquence ne pouvait être que provisoire : et Mackintosh a fait preuve d’un grand sens politique lorsqu’il a annoncé que la logique des principes et du mouvement révolutionnaire renverserait bientôt la fragile barrière élevée entre les citoyens actifs et les citoyens passifs. C’est le suffrage universel, c’est l’entière démocratie que la Révolution française porte en elle. Et c’est le suffrage universel, c’est l’entière démocratie politique (au moins en ce qui touche la représentation) que Mackintosh veut instituer en Angleterre : l’ébranlement est aussi vaste qu’il est profond.

« Ce qui concerne le droit de suffrage est de première importance dans la Communauté. Ici je suis pleinement d’accord avec M. Burke pour réprouver l’impuissante et absurde qualification par laquelle l’Assemblée a privé de sa franchise (disfranchised) tout citoyen qui ne paye pas une contribution équivalente au prix de trois journées de travail. Évidemment cette mesure ne peut aboutir qu’à un étalage d’inconséquence et une violation de la justice. Mais ces remarques furent faites au moment de la discussion en France, et le plan fut combattu dans l’Assemblée avec toute la force de la raison et de l’éloquence, par les plus illustres leaders du parti populaire. MM. Mirabeau, Target et Pétion se distinguèrent plus particulièrement par leur opposition. (Mackintosh qui se réfère aux procès-verbaux du 21 et 29 octobre 1789 au Journal de Paris et au journal les Révolutions de Paris, exagère l’opposition des démocrates à la loi des trois journées : elle ne fut pas très vigoureuse.)

« Mais les membres les plus timides, les plus imbus de préjugés du parti démocratique, hésitèrent devant une innovation aussi hardie dans le système politique que l’eût été la justice. Ils flottèrent entre leurs principes et leurs préjugés, et la lutte se termina par un compromis illusoire, cette ressource constante des caractères faibles et temporisateurs. Ils se contentèrent à l’idée qu’en fait il n’y aurait qu’un faible mal. ― Leurs vues