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« Mais, quoique la propriété soit nécessaire, elle est, dans ses excès, la plus grande maladie de la société civile. L’accumulation du pouvoir conféré par la richesse aux mains d’un petit nombre est une source perpétuelle d’oppression et de dédain à l’égard de la masse de l’humanité. Le pouvoir des riches est concentré plus encore par leur tendance à la coalition (their tendency to combination), coalition qui est rendue impossible aux pauvres par leur nombre, leur dispersion, leur indigence et leur ignorance. Les riches sont groupés en corps par leurs professions, par leurs divers degrés d’opulence (c’est ce qu’on appelle le rang), par leurs connaissances et par leur petit nombre. ― Ce sont eux nécessairement qui, dans tous les pays, administrent le gouvernement, car ils ont seuls l’habileté et les loisirs nécessaires pour ces fonctions. En cet état des choses rien ne peut être plus évident que leur inévitable prépondérance dans l’échelle sociale. La préférence des intérêts partiels aux intérêts généraux n’en est pas moins le plus grand des maux publics.

« Toutes les lois doivent donc avoir pour objet de réprimer cette maladie, mais leur tendance perpétuelle a été de l’aggraver. Non contentes de l’inévitable inégalité de fortune, elles y ont ajouté des distinctions honorifiques et politiques. Non contentes de l’inévitable tendance des riches à se coaliser elles les ont incorporés en classes. Elles ont fortifié ces conspirations contre l’intérêt général, auxquelles elles auraient dû résister puisqu’elles ne peuvent les désarmer entièrement. Les lois, dit-on, ne peuvent égaliser les hommes. Non. Mais, doivent-elles pour cette raison aggraver l’inégalité qu’elles ne peuvent pas guérir ? Doivent-elles, pour cette raison, fomenter cet esprit de corporation qui est leur plus fatal ennemi ? »

L’application de ces principes à la Constitution sociale de l’Angleterre est assez incertaine, et Mackintosh ne tente pas de la formuler. S’agit-il de toucher aux lois sur les successions, à ce régime des substitutions qui perpétue la fortune de la grande aristocratie ? C’est plutôt au privilège politique des aristocrates et des riches qu’il veut toucher. C’est surtout la Chambre des Lords et la représentation oligarchique des Communes qu’il vise : et la démocratie politique lui apparaît comme le moyen nécessaire de faire équilibre aux inégalités sociales, d’en atténuer peu à peu les plus criants effets par la défense plus efficace des intérêts généraux. Pour la première fois, et c’est là un fait d’une haute importance, la question du suffrage universel est sérieusement posée en Angleterre : et c’est la Révolution française qui l’y pose. Pitt, quand il proposait la réforme électorale limitée que j’ai indiquée, ne faisait allusion au suffrage universel que comme à une extrême formule théorique et qui n’était réellement pas en discussion. Par le grand mouvement démocratique de la France qui appelait au droit de vote des millions de citoyens la question cesse d’être une théorie d’école. Elle entre dans le vif du combat politique et social. Mackintosh et ses amis démêlent très bien que