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Enfin, dans le numéro du 3 septembre, mais dans un article daté du 2, Carra adresse le plus véhément appel patriotique et révolutionnaire « à tous les Français en état de porter les armes : « Français, hommes libres, vous tous qui pouvez porter les armes, vous tous que le feu du patriotisme rend dix fois plus forts et plus élastiques que les dix kreutzers et les cent coups de bâton donnés chaque jour aux soldats de François et de Guillaume, hâtez-vous de former une enceinte formidable au milieu de laquelle vous traquerez à coups de canon, de fusil, de pique et de faulx, cette meute de loups et de chiens enragés, conduite par le bravache Brunswick et l’insolent Clairfayt. Que le tocsin continue à se faire entendre pendant plusieurs jours du nord au sud, et de l’est à l’ouest dans toute l’étendue de cet empire, et qu’il annonce à toute la terre la défaite des tyrans et la déroute entière de leurs satellites. Oui, que dans un mois au plus cette nuée de Prussiens et d’Autrichiens, victimes de l’orgueil et de la rage de leurs chefs insensés, disparaisse de la surface de cette terre sacrée. »

Ainsi la verve un peu facile et souvent vulgaire de Carra s’anime jusqu’à l’enthousiasme. Et il finit par une sorte de tableau familier et vaste où le soulèvement de la France libre a quelque chose de l’irrésistible et primitive puissance des grandes migrations humaines.

C’est comme un retour sublime à la simplicité de la vie dans le monde naissant : « Pour marcher à cette formidable expédition, réunissez-vous par compagnies de cent hommes chacune, et que chacune de ces compagnies ait sur des chariots sa provision de farine, de fèves, de haricots, de biscuit (ceci est important, car vous pourriez être privés de vivres dans certaines circonstances) ; que les plus riches partagent leurs provisions et leur argent avec leurs frères — camarades de campagne ; que tous les chevaux de l’empire soient employés à l’expédition ; que les boutiques et les ateliers de luxe soient fermés pendant ce temps-là ; que le commerce cesse pour un moment, et que toute la France, hérissée de baïonnettes et de piques, fonde d’un seul jet et de tous côtés, sur cette troupe impie et sacrilège de satellites étrangers et l’efface toute entière du nombre des vivants. Amis, suivons ces mesures à la lettre et nous sommes mathématiquement sûrs d’un triomphe dont l’histoire passée et future ne fournira jamais d’exemple. »

C’est vraiment, sur une terre de civilisation, de richesse, de liberté et de douceur, comme une prodigieuse mobilisation des tribus primitives. Je ne sais quel souffle vigoureux et salubre des forêts profondes emplit la poitrine des guerriers, et les coteaux, les vallons et les plaines semblent verser tous leurs produits aux chariots de la Révolution. Pendant que Carra, passionné jusqu’à l’éloquence, s’exalte ainsi, bien au-dessus de ses vulgarités coutumières, pendant que son cœur bat avec toutes les cloches irritées et grondantes de la patrie en péril, juste à la même minute Robespierre le dénonce, lui et son parti, comme le complice de Brunswick. J’ai voulu, il le fallait,