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n’était pas moins jalousée par les vieux intérêts terriens, en partie pour les mêmes raisons qui la rendaient odieuse au peuple, mais surtout parce qu’elle éclipsait, par la splendeur d’un luxe ostentatoire, les généalogies sans dot et les titres nus de plusieurs de la noblesse. Même, quand la noblesse qui représentait les intérêts fonciers les plus permanents, s’unissait par mariage (ce qui arrivait parfois) avec l’autre catégorie, la richesse qui sauvait la famille de la ruine était supposée la contaminer et la dégrader.

« Ainsi les animosités et les haines des deux partis étaient accrues même par les moyens qui d’habitude apaisent la discorde et changent la querelle en amitié. Dans le même temps, l’orgueil des hommes riches, non nobles ou nouvellement nobles, croissait avec sa cause. Ils ressentaient avec dépit une infériorité dont ils ne reconnaissaient point les raisons. Il n’y avait pas de mesure à laquelle ils ne fussent prêts à recourir pour prendre leur revanche de leurs superbes rivaux et pour exalter leur propre richesse au degré de considération et de puissance qu’ils croyaient juste. Ils frappèrent la noblesse à travers la royauté et l’Église. Ils s’attaquèrent particulièrement du côté où ils pensaient qu’elle était le plus vulnérable, c’est à-dire les possessions de l’Église, qui, sous le patronage de la couronne, étaient généralement dévolues à la noblesse. Les évêques et les grands abbés commendataires étaient, sauf peu d’exceptions, pris dans cet ordre.

« Dans cette guerre réelle, quoique pas toujours aperçue, entre les vieux intérêts fonciers de la noblesse et les nouveaux intérêts d’argent, la force la plus grande, parce qu’elle était la plus maniable, était aux mains de ces derniers. L’intérêt d’argent est par sa nature plus prêt aux aventures et ses possesseurs sont plus disposés à de nouvelles entreprises de toutes sortes. Étant d’acquisition récente, il s’accorde mieux, naturellement, à toute nouveauté. C’est donc la sorte de richesse qui convient à tous ceux qui désirent le changement.

« Or, à ces hommes de finances qui avaient intérêt à dépouiller l’Église pour dépouiller indirectement et pour humilier la noblesse se sont joints les encyclopédistes, les « hommes de lettres politiques », ennemis du christianisme. Et c’est la jonction de ces deux catégories d’hommes qui explique la fureur avec laquelle toute la propriété terrienne des corporations ecclésiastiques a été attaquée et le grand soin que les révolutionnaires, contrairement à leurs principes, ont pris d’un intérêt qui avait son origine dans l’autorité de la couronne. Toute l’envie contre la richesse et le pouvoir fut artificiellement dirigée contre certaines catégories de riches. Sur quel autre principe que celui-là peut-on expliquer un phénomène aussi extraordinaire, aussi peu naturel que celui des possessions ecclésiastiques, qui avaient résisté à tant de chocs et de violences civiles et qui étaient gardées à la fois par la justice et par le préjugé, appliquées au payement de dettes récentes et contractées par un gouvernement décrié et renversé ?