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ture, réfractés et déviés de leur ligne droite. Dans la grande masse compliquée des passions humaines et des intérêts humains, les droits primitifs des hommes subissent une telle variété de réfractions et de réflexions, qu’il devient absurde de parler d’eux comme s’ils continuaient dans la simplicité de leur direction originelle. »

Je dirai de même qu’en pénétrant dans le milieu anglais, la lumière de l’idéalisme français et de la Révolution française devait être nécessairement réfractée et déviée ; mais Burke, au lieu de calculer cet indice de réfraction et de déterminer la ligne que devaient suivre en Angleterre les idées nouvelles, écarte toute lumière de démocratie comme une offense ; il essaie d’intercepter tout rayonnement révolutionnaire. Et par là, c’est lui qui tombe dans la simplicité abstraite et la pauvreté de conception qu’il reproche aux prétendus métaphysiciens de France.

Qu’importe dès lors, après cette fondamentale erreur de jugement, que Burke prodigue à la Révolution et aux révolutionnaires les moqueries et les outrages ? Il ne fait que reprendre les pamphlets des contre-révolutionnaires. Il ne voit dans le peuple de Paris qu’une foule délirante et brutale. Il raille l’Assemblée composée d’avocats bavards ou de curés sans expérience politique, sans horizon. Il affecte de croire, avec l’abbé Maury, que la sécularisation des biens d’Église n’est qu’une occasion de spéculations juives et qu’un agiotage effréné.

Chose curieuse ! Il prévoit, non sans finesse, la primauté prochaine de la richesse mobilière. Il annonce que la noblesse de France, ayant perdu peu à peu sa base territoriale, sera « semblable aux Juifs, devenus ses compagnons ou ses maîtres ». Mais cette primauté de la richesse mobilière, il la redoute. Il ne comprend pas, ou il ne paraît pas comprendre la différence essentielle, la différence de droit, qui existait pour les révolutionnaires entre la propriété corporative et immobile de l’Église et les formes nouvelles, mobiles, souples, infiniment transmissibles de la propriété industrielle, financière et bourgeoise. Et parfois il paraît ramener à un complot d’agioteurs et de pillards l’immense mouvement capitaliste dont Barnave a si bien démêlé les origines et le sens. Mais parfois aussi ses vues sont nettes et profondes.

« Cet outrage à tous les droits de la propriété fut couvert à l’origine du plus étonnant des prétextes : du respect de la foi publique. Les ennemis de la propriété prétendirent d’abord qu’ils avaient un souci plus tendre, plus délicat, plus scrupuleux, de tenir les engagements du roi envers les créanciers publics.

« Ces professeurs des droits de l’homme sont si occupés à enseigner les autres qu’ils n’ont pas le temps de s’instruire eux-mêmes. Autrement, ils sauraient que c’est envers la propriété des citoyens, non envers les demandes des créanciers de l’État qu’est engagée d’abord la foi publique. La réclamation des citoyens est antérieure et supérieure. Les fortunes des individus, qu’elles