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tion serait entièrement destructive de « l’unité, de la paix et de la tranquillité de ce pays ». Pour pourvoir aux objets immédiats et exclure pour toujours la doctrine « de la Vieille Juiverie » (c’est la rue où se réunissait la Société de la Révolution) sur ce prétendu droit des hommes à choisir leurs gouvernants, ils insérèrent une clause qui était une renonciation solennelle au principe électif : « Les lords spirituels et temporels, et les Communes, au nom du peuple, se soumettent très humblement et très loyalement, eux, leurs héritiers et leur postérité à jamais. » Bien loin qu’il soit vrai que nous avons acquis par la Révolution un droit de choisir nos rois, ce droit, si nous l’avions possédé avant, la nation anglaise l’aurait à ce moment solennellement renoncé et abdiqué pour la génération présente et pour toute la suite des générations. »

Soit, et Burke démontre à merveille qu’il n’y a qu’un rapport très lointain entre la révolution de circonstance faite par l’Angleterre en 1688 et la révolution de principe faite par la France en 1789. Il est certain que l’Angleterre, en 1688, n’a pas prétendu fonder la démocratie, qu’elle n’a pas proclamé ou organisé la souveraineté populaire et qu’elle n’a dérogé à la tradition et à l’ordre de succession que juste autant qu’il était nécessaire pour sauvegarder les intérêts vitaux compromis par les Stuarts. Mais ce n’est pas la question. Personne ne prétend légitimer la Révolution française et la démocratie par le seul précédent anglais de 1688. Ce que les Anglais amis de la Révolution avaient le droit de dire, c’est qu’en Angleterre même ni la tradition royale n’avait été ininterrompue, ni le droit royal n’avait été intangible.

Il se peut que le choix fait par les délégués de la nation n’ait été qu’en apparence un choix, et qu’il ait été en fait une nécessité, comme M. Guizot, reprenant la thèse de Burke et l’appliquant à la Révolution de 1830, le dira plus tard de Louis-Philippe. Mais cette nécessité, c’est la nation elle-même qui en était l’interprète, et par là, quoi qu’on fasse, il y a un acte explicite et formel de la volonté nationale à l’origine du droit royal de la dynastie anglaise. Cela ne veut pas dire que la nation anglaise va révoquer le pouvoir de ses rois. Mais cela signifie qu’elle peut, sans porter atteinte à un droit qu’elle a constitué elle-même, mieux assurer l’exercice direct de la puissance nationale. Ainsi, le précédent juridique de 1688, agrandi par l’esprit de démocratie, mais appliqué selon la prudente méthode anglaise, peut conduire à une grande transformation politique dans le sens du droit populaire, de la liberté et de l’égalité.

Priestley note que le whig Burke interprète la Révolution anglaise de 1688 comme le faisaient les torys, restés au fond jacobites, mais qui, pour excuser peu à peu leur ralliement à la royauté nouvelle, affectaient de ne voir en elle que la suite légitime et nécessaire de la monarchie tombée. Ce qui fait que l’œuvre de Burke est d’un rhéteur et non d’un homme d’État, c’est qu’il raisonne comme