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même, à l’heure où éclatait la Révolution française, l’ère des plus-values et des dégrèvements.

En France, l’inégalité du système fiscal, qui ne pesait que sur une catégorie de citoyens, avait provoqué les colères. En Angleterre, tous les citoyens étaient dès longtemps égaux devant l’impôt.

Enfin, en France, le prolétariat, quoiqu’il ne fût pas encore prêt à une action de classe, grandissait soudain par la lutte acharnée de la bourgeoisie et des classes contre-révolutionnaires. En Angleterre, l’accord de l’aristocratie terrienne et de la bourgeoisie industrielle ne permettait pas au prolétariat anglais de grandir et d’agir presque avant son heure. Et les prolétaires anglais se sentaient liés à tout le système politique et social de l’Angleterre par le bénéfice qui leur revenait de la rapide croissance industrielle du pays, par la communauté des intérêts économiques.

Ainsi, l’Angleterre devait opposer au mouvement de la Révolution une force énorme de stabilité. Et pourtant, la Révolution apportait au monde un principe d’une puissance incomparable et qui devait émouvoir l’Angleterre elle-même. Ce principe, c’est la démocratie. Il y a trois points par où cette force nouvelle de la démocratie pouvait toucher l’Angleterre et la toucha en effet.

D’abord, la prérogative royale était mal définie. Elle tendait sans cesse à empiéter sur le droit et le pouvoir des Communes. Trop souvent les ministères n’étaient que des coteries de cour par où s’exprimait le caprice royal plus que la volonté nationale. Et comme souvent la nation anglaise avait pâti des fautes de rois mal contrôlés, servis par des ministres courtisans, comme elle était restée très humiliée de la perte des colonies d’Amérique qu’elle attribuait à Georges III et au ministère de lord North, et comme les impôts assez lourds, par lesquels Pitt avait rétabli l’équilibre du budget, prolongeaient le mécontentement, une partie du pays songeait à limiter plus strictement l’action de la Couronne. Mais si, selon les principes de la Révolution française et la Déclaration des droits de l’homme, la nation seule était souveraine, si le roi n’avait qu’une puissance déléguée et par conséquent conditionnelle, la question était résolue. Ainsi la démocratie apparaissait comme un moyen décisif de limiter et de refouler la prérogative royale.

En second lieu, la Révolution française donnait une soudaine ampleur à la question de la réforme électorale. Tandis qu’avant 1789, en Angleterre, tout l’effort des esprits les plus hardis se portait à demander une légère extension du droit de suffrage et une rectification du système électoral, voici que soudain la France appelait au vote, à la souveraineté politique, plus de trois millions de citoyens ; voici qu’elle proclamait des principes d’où l’on sentait bien que le suffrage universel allait sortir. Le peuple anglais, qui, au temps de Cromwell et du niveleur Lilburne, avait entrevu les principes de la démocratie et qui les pratiquait dans plusieurs de ses Églises dissidentes, où