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sation aussi absurde, et à vrai dire, je ne crois point qu’il fût tout à fait de bonne foi ; je sais bien qu’entre la monarchie de Louis XVI et la République encore inconnue et effrayante, bien des esprits cherchaient des combinaisons intermédiaires et chimériques. Mais de là à accuser la Gironde d’un complot avec Brunswick, il y a un abîme. Je sais bien aussi que Carra, un journaliste girondin, avait écrit sur Brunswick des paroles énigmatiques et imprudentes. Mais ici encore, quel faible prétexte à une accusation empoisonnée !

M. Hamel, obstiné à justifier Robespierre, s’écrie : Est-ce que, récemment, un des principaux organes de la Gironde, les Annales patriotiques, du Girondin Carra, n’avait pas effrontément entonné les louanges de Brunswick la veille du jour où allait paraître l’insolent manifeste signé de lui ? Est-ce qu’enfin Carra ne l’avait pas proposé pour roi d’une manière assez significative ? » Ici, le culte de son héros semble oblitérer la conscience si droite de l’historien et le conduire à une sorte de falsification historique. M. Hamel n’ignore pas, et il devrait dire que Brunswick était populaire depuis des années auprès des philosophes et des esprits libres, qu’il passait pour un homme aux idées larges, que le bruit avait couru qu’il s’était opposé à la guerre, et qu’il ne la conduisait qu’à regret. Carra, qui était un homme de saillies téméraires et d’imagination aventureuse, avait cru habile, une fois la guerre engagée, de diviser la Prusse et l’Autriche en paraissant compter sur le libéralisme du duc de Brunswick : Système dangereux peut-être, mais qui ne justifie ni l’accusation de Robespierre, ni l’insinuation de son historien. C’est sans doute à la note publiée par Carra, le 19 juillet, dans les Annales patriotiques, que M. Hamel fait allusion.

La voici : « Quelques petites observations sur les intentions des Prussiens dans la guerre actuelle. Rien de si bête que ceux qui croient et voudraient faire croire que les Prussiens veulent détruire les jacobins, eux qui ont vu dans ces mêmes jacobins les ennemis les plus déclarés et les plus acharnés de la Maison d’Autriche, et les amis constants de la Prusse, de l’Angleterre et de la Hollande. Ces mêmes jacobins, depuis la Révolution, n’ont cessé de demander à grands cris la rupture du traité de 1750, et à former des alliances avec les maisons de Brandebourg et de Hanovre, tandis que les gazetiers universels, dirigés par le Comité autrichien des Tuileries, ne cessaient de louer l’Autriche et d’insulter les Cours de Berlin et de La Haye.

« Non, ces cours ne sont pas si maladroites de vouloir détruire les Jacobins qui ont des idées si heureuses pour les changements de dynastie, et qui en cas de besoin peuvent servir considérablement les maisons de Brandebourg et de Hanovre contre celle d’Autriche. Croyez-vous que le célèbre duc de Brunswick ne sait pas à quoi s’en tenir sur tout cela, et qu’il ne voit pas clairement les petits tours de passe-passe que le comité autrichien des Tuileries et la cour de Vienne veulent jouer à son armée en dirigeant toutes les forces des Français contre lui et en déplaçant le foyer de la guerre loin des