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tances, parce qu’ils ne peuvent plus se procurer la même quantité d’un article dont les travailleurs n’ont plus le même besoin. »

Est-ce aux pommes de terre que Pitt fait allusion quand il parle des « substituts à meilleur marché, cheaper substitutions », qui dans la consommation du peuple remplacent en partie le pain ? Ce serait sous couleur d’apologie un terrible aveu de misère. Mais encore une fois, je ne veux pas entrer dans ces calculs où la dispute est infinie. Il y a une contradiction entre les paroles de Pitt reconnaissant que le blé a renchéri, et celles de Smith écrivant vingt ans plus tôt qu’il est meilleur marché au xviiie siècle qu’au siècle précédent. Sans doute Pitt n’était attentif qu’à la hausse immédiate. Mais ce qui à mes yeux domine tout et confirme les indications générales d’Adam Smith, c’est que Withbread et ses amis parlent exclusivement des salariés agricoles. Là, la misère était grande. La politique d’envahissement terrien de l’aristocratie se poursuivait implacablement. Les domaines communaux étaient enclos et accaparés par les grands propriétaires. Le nombre des cottages, des petites maisons paysannes indépendantes diminuait de moitié, comme Price l’établit dans son livre sur « la Population en Angleterre ». Et tous ces paysans, tombés au rang de prolétaires, immobilisés par la loi du certificat, touchaient à l’extrême détresse. « Je veux, s’écriait Withbread, délivrer les pauvres travailleurs d’un état de dépendance servile ; je veux rendre l’agriculteur, qui emploie ses jours à un labeur incessant, capable de nourrir, de vêtir et de loger sa famille avec quelque degré de confort ; je veux exempter la jeunesse de ce pays de la nécessité d’entrer dans l’armée et la marine ou d’aller en bandes dans les grandes villes pour y trouver leur subsistance (from flecking to great towns for subsistence) ; je veux mettre celui qui laboure, sème et bat le blé en état de goûter aux fruits de son industrie, en lui donnant droit à une part du produit de son travail. » Il n’y a pas contradiction, entre ces paroles de Withbread et celles de Burdon disant le même jour à la Chambre des Communes : « Par les prix moyens du travail pendant quelques années, la Chambre doit voir que les salaires des travailleurs ont considérablement augmenté ; » car c’est seulement aux salaires agricoles que s’applique la démonstration de Withbread. C’est ce que précise encore un autre partisan du bill, Leclemere : « Il n’y a pas de travailleur agricole qui puisse en ce moment s’entretenir confortablement, lui et sa famille (No agricultural labourer could at present support himself and his family with confort), car un pain d’orge est à l’énorme prix de douze deniers, tandis que tout le salaire d’un jour de travail ne s’élève pas à plus d’un shilling… Je conclus que le minimum du travail agricole doit être fixé. »

Visiblement, c’est là l’effet extrême de la grande transformation économique qui achevait la ruine de la petite propriété paysanne au profit des grandes fermes à pâturages et qui dépeuplait les campagnes au profit de l’industrie manufacturière grandissante. Withbread le note expressément lors-