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L’objet poursuivi par les statuts n’était pas la prohibition des coalitions, mais la fixation des salaires, la prévention du manque de foi ou du dommage, l’exécution du contrat de service ou les arrangements convenables pour l’apprentissage. Et, bien que les coalitions pour se mêler des objets de ces statuts fussent évidemment illégales, et fussent habituellement prohibées expressément, c’était une conséquence réciproque que les coalitions formées pour proposer les objets de la législation, à quelque objection qu’elles pussent prêter de la part des patrons, n’étaient apparemment pas considérées comme illégales.

« Ainsi le type primitif de coalition parmi les ouvriers — la société pour faire appliquer la loi — semble avoir toujours été tacitement accepté comme tolérable. Bien qu’il soit probable que de semblables associations rentrassent, au point de vue juridique, dans la définition d’association et de conspiration, soit sous le droit commun, soit sous les anciens statuts, nous ne connaissons pas de cas où elles aient été poursuivies comme illégales. Nous avons déjà raconté, par exemple, comment en 1726 les tisseurs de laine du Wiltshire et du Somersetshire s’associèrent ouvertement pour présenter une pétition au roi en son conseil contre leurs maîtres, les riches drapiers. Le conseil privé, loin de considérer l’action des tisseurs comme illégale, prit en considération leur plainte. Et, quand les patrons persistèrent à désobéir aux lois, nous avons vu comment, en 1756, la fraternité des tisseurs de drap de laine adressa une pétition à la Chambre des communes pour donner un effet plus réel au pouvoir attribué aux juges de fixer les salaires, et obtint un nouvel acte du Parlement en concordance avec ses désirs. Les coalitions presque permanentes des bonnetiers au métier, de 1710 à 1800, ne furent jamais l’objet de poursuites légales. Les associations de tisseurs de soie de Londres reçurent une sanction virtuelle par les actes de Spitalfields, les délégués des associations ouvrières parurent régulièrement devant les juges, qui fixèrent et revisèrent les prix du travail aux pièces… »

Même d’une façon générale, « il ne faudrait pas s’imaginer que chaque association devenait matière à poursuites, et que le leader trade-unioniste de ce temps passait toute sa vie en prison. À cause de l’organisation très défectueuse de la police anglaise, et de l’absence de toute poursuite d’office, une coalition était habituellement laissée en paix jusqu’à ce qu’un patron se sentît suffisamment gêné par ses opérations pour prendre lui-même la peine de mettre la loi en action. Dans beaucoup de cas, on trouve des patrons qui paraissent accepter la coalition de leurs ouvriers ou au moins fermer les yeux sur elle. Les maîtres imprimeurs de Londres, non seulement reconnaissaient la très ancienne institution de la « chapelle », mais évidemment, à partir de 1785, ils la jugeaient utile à recevoir et à examiner les propositions des ouvriers, comme un corps organisé. »

Ainsi, en 1789 encore, c’est un régime incertain et mêlé, fait tout en-