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les salaires, mais c’est une association de philanthropes qu’il a en vue, non une association d’ouvriers.

« Si la Chambre, comme il a été proposé, venait à former une association dont tous les membres s’engageraient eux-mêmes à n’user que d’une espèce particulière de pain, pour diminuer les durs effets de la rareté, ne pourrait-elle en même temps former une association en vue d’élever le prix du travail à un taux proportionné au prix des articles de subsistance ? »

Mais quant à laisser aux intéressés eux-mêmes le droit de former cette association, ni Fox ni aucun de ses collègues libéraux n’y songe un instant. Pitt, dans le discours où il combat la motion de Withbread (12 février 1796), ne dit pas un mot non plus des coalitions ouvrières. Il parle des sociétés amicales, friendly societies, qui sont des sociétés de secours mutuels entre ouvriers, et il ne paraît pas pressentir que ces sociétés de secours mutuels deviendront le germe d’organisations ouvrières de résistance et de lutte.

« L’encouragement des sociétés amicales, dit-il, contribuera à alléger l’immense charge dont le public est accablé maintenant pour le soutien des pauvres, et l’industrie pourra pourvoir, par ses épargnes, aux temps de détresse. »

Il est bien malaisé de croire que s’il y avait eu à ce moment une revendication générale de la classe ouvrière anglaise au sujet du droit de coalition, Pitt n’y eût fait aucune allusion. Il aurait sans doute exprimé des craintes sur la déviation possible des sociétés ouvrières de secours mutuels.

D’où vient que les ouvriers anglais, dans l’ébranlement donné au monde et aux travailleurs par la Révolution française, n’aient point demandé la reconnaissance légale d’un droit aussi important pour eux ? Ce n’était certes pas indifférence ou dédain ; car il résulte des pages d’Adam Smith citées tout à l’heure, et de nombreux témoignages recueillis par Sidney et Béatrice Webb dans leur belle histoire du Trade-Unionisme, que, en fait, pendant tout le xviiie siècle, les ouvriers recoururent aux coalitions pour défendre ou hausser leurs salaires. Et ils ne se bornaient pas à des ententes momentanées : ils formaient des associations permanentes.

« Nous n’avons pas réussi à découvrir dans les innombrables brochures et placards ouvriers du temps, ni dans les procès-verbaux de la Chambre des Communes, quelque trace de l’existence avant 1700 d’associations permanentes de salariés pour détendre et améliorer les conditions de leur contrat… Dans les premières années du xviiie siècle, nous trouvons des plaintes : sur les associations « récemment formées » par des ouvriers qualifiés de certains métiers. À mesure que le siècle avance, nous remarquons la multiplication graduelle de ces plaintes, auxquelles correspondent des contre-actions présentées par des corps d’ouvriers organisés. À partir du milieu du siècle, les procès-verbaux de la Chambre des Communes sont remplis de pétitions et de contre-pétitions qui révèlent l’existence d’associations de journa-