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habitudes d’un grand nombre d’hommes de métiers. Ainsi, de même que rien, dans l’état social anglais, n’obligeait les paysans, presque entièrement libérés du régime féodal, à un acte de Révolution, rien, dans le régime économique et industriel, n’obligeait la bourgeoisie à l’action révolutionnaire.

Est-ce du prolétariat anglais, est-ce de la classe ouvrière que pouvait venir un mouvement de révolution sociale ? Mais les prolétaires anglais de 1789 n’avaient, pas plus que les prolétaires français, une conscience de classe. Sans doute leur condition était souvent très dure et leurs garanties étaient faibles. Ils ne pouvaient guère se coaliser utilement pour la défense de leurs salaires. De terribles lois répressives, brutalement invoquées par les maîtres, pesaient sur les prolétaires.

« Les ouvriers désirent gagner le plus possible, les maîtres donner le moins qu’ils peuvent : les premiers sont disposés à se concerter pour élever les salaires, les seconds pour les abaisser.

« Il n’est pas difficile de prévoir lequel des deux partis, dans toutes les circonstances ordinaires, doit avoir l’avantage dans le débat, et imposer forcément à l’autre toutes ses conditions. Les maîtres, étant en moindre nombre, peuvent se concerter plus aisément, et de plus la loi les autorise à se concerter entre eux, ou du moins elle ne le leur interdit pas, tandis qu’elle l’interdit aux ouvriers. Nous n’avons pas d’acte du Parlement contre les ligues qui tendent à abaisser le prix du travail ; mais nous en avons beaucoup contre celles qui tendent à le faire hausser. Dans toutes ces luttes, les maîtres sont en état de tenir plus longtemps. Un propriétaire, un fermier, un maître fabricant ou marchand pourraient en général, sans occuper un seul ouvrier, vivre un an ou deux sur les fonds qu’ils ont déjà amassés. Beaucoup d’ouvriers ne pourraient pas subsister sans travail une semaine, très peu un mois, et à peine un seul une année entière. À la longue, il se peut que le maître ait autant besoin de l’ouvrier que celui-ci a besoin du maître, mais le besoin n’est pas si pressant.

« On n’entend guère parler, dit-on, de ligues entre les maîtres, et tous les jours on parle de celles des ouvriers. Mais il faudrait ne connaître ni le monde, ni la matière dont il s’agit, pour s’imaginer que les maîtres se liguent rarement entre eux. Les maîtres sont en tout temps et partout dans une sorte de ligue tacite, mais constante et uniforme, pour ne pas élever les salaires au-dessus du taux actuel. Violer cette règle est partout une action de faux frère, et un sujet de reproche pour un maître parmi ses voisins et ses pareils. À la vérité, nous n’entendons jamais parler de cette ligue, parce qu’elle est l’état habituel, et on peut dire l’état naturel de la chose, et que personne n’y fait attention. Quelquefois, les maîtres font entre eux des complots particuliers pour faire baisser au-dessous du taux habituel les salaires du travail. Ces complots sont toujours conduits dans le plus grand silence et dans le