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général de la Commune dans le peuple surexcité, et il y aura un élargissement des massacres. L’accusation formulée par Robespierre tendait sournoisement à la politique de Marat : supprimer à la fois royalistes, feuillants et Girondins.

Ce qui prouve que sa dénonciation n’était pas inoffensive, c’est que, dès le lendemain, la Commune ordonnait des perquisitions chez Brissot. Lui-même les constate dans le Patriote Français : « Je croyais avoir donné des preuves assez fortes et assez constantes de mon patriotisme pour être au-dessus des soupçons ; mais la calomnie ne respecte rien. Hier dimanche on m’a dénoncé à la Commune de Paris, ainsi que partie des députés de la Gironde, et d’autres hommes aussi vertueux. On nous accusait de vouloir livrer la France au duc de Brunswick, d’en avoir reçu des millions, et de nous être concertés pour nous sauver en Angleterre. Moi, l’éternel ennemi des rois, et qui n’ai pas attendu 1789 pour manifester ma haine à leur égard ! Moi ! le partisan d’un roi ! plutôt périr mille fois, que de reconnaître jamais ces despotes, et surtout un étranger !

« Citoyens, on me dénonçait à dix heures du soir, et à cette heure on égorgeait dans les prisons ! Une pareille dénonciation était bien propre à exciter l’indignation du peuple contre moi, et elle l’excitait déjà. Des âmes honnêtes qui pensent qu’avant de croire et de punir, il faut convaincre, demandèrent que visite fût faite de mes papiers ; et, en conséquence, ce matin, sur les sept heures, trois commissaires de la Commune se sont présentés chez moi. J’aurais pu réclamer comme député, contre une pareille recherche ; mais, dans le danger de la patrie, tout citoyen, quel qu’il soit, doit à la première réquisition de la loi, se montrer à nu.

« Les commissaires ont examiné pendant trois heures, avec tout le soin possible, tous mes papiers ; je les leur ai livrés avec l’abandon d’un homme qui a la conscience la plus irréprochable. Je n’avais qu’un regret, c’est que le peuple, ce peuple auprès duquel on me calomnie, et que je ne cesse de défendre, c’est que ce peuple entier ne fût pas témoin de l’examen. En voici le résultat : « Nous, après avoir fait les recherches les plus exactes, dans tous les papiers du dit sieur Brissot, et après les avoir examinés, n’ayant absolument rien trouvé qui nous parût contraire à l’intérêt public, lui avons laissé tous ses papiers. Signé : Berthelton, Guermenc, commissaire-adjoint, Cousteau, dit Mignon. »

Mais quelles amertumes ces luttes laissaient dans les âmes !

Condorcet aussi, le premier qui ait formulé la philosophie républicaine à une heure où Robespierre se défendait d’être républicain, le grand Condorcet est obligé, en cette journée du 3 septembre, de protester qu’il n’est pas l’agent secret de Brunswick. Robespierre est bien coupable d’avoir contribué à l’obscurcissement des esprits en ces jours tragiques. Qu’il eût été glorieux à la France menacée de garder, au plus sombre du péril, son lumineux