Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/692

Cette page a été validée par deux contributeurs.

geoisie française, le contrôle du budget. Elle l’avait, au moins dans la mesure où il convenait à ses intérêts de caste, à sa fraction la plus puissante et la plus riche. Elle n’avait pas à demander non plus la libre circulation intérieure des produits et des marchandises : elle l’avait. Et ce n’est certes pas pour détruire ce qui restait encore du système corporatif qu’elle pouvait se soulever ou agiter l’opinion.

D’abord, en France même, la question des corporations industrielles n’aurait certes pas suffi à provoquer un vif mouvement. C’est plutôt par un attachement théorique au principe de « la liberté du travail », que par une haine décidée des corporations que plusieurs cahiers en demandaient la disparition. Au fond, comme on l’a vu par la pétition de beaucoup de marchands et fabricants de Paris, une grande partie de la bourgeoisie industrielle et marchande avait peur de l’absolue liberté commerciale. Il lui semblait qu’à ne plus imposer par la loi, sanctionnant les statuts des corporations, une assez longue durée d’apprentissage, on risquait de gâcher tous les métiers. Il lui semblait aussi que la concurrence sans frein avilirait tous les prix, et ce n’étaient pas seulement ceux qui étaient en possession de la maîtrise qui redoutaient l’inconnu de la concurrence illimitée. Ceux qui, péniblement, obscurément, se préparaient à l’acquérir, redoutaient d’avance une diminution des garanties dont ils espéraient jouir, des privilèges auxquels un jour ils auraient part. Chez les ouvriers aussi, qui craignaient que l’abaissement des salaires fût la suite de l’absolue liberté du travail et de la concurrence de la main-d’œuvre, il y avait bien des hésitations et des appréhensions. Qu’on se rappelle seulement l’article de Marat. Aussi bien, le privilège corporatif ne s’étendait ni à toutes les régions ni à toutes les industries, et quand un manufacturier voulait s’établir hors des cadres de la corporation, fonder une industrie nouvelle, il en obtenait aisément dispense.

À plus forte raison dans cette Angleterre capitaliste, où le régime corporatif avait dû se réduire, en fait, et s’assouplir pour se prêter à la croissance d’industries nouvelles et variées, il ne constituait plus une entrave capable d’irriter les intérêts. Il apparaissait au contraire à beaucoup comme un frein utile qui empêchait l’universelle concurrence capitaliste de s’enfiévrer, de s’emporter à de funestes excès. Il suffit de lire avec soin le chapitre des Salaires et des Profits, où Adam Smith combat le régime corporatif, pour se rendre compte de toutes les restrictions que ce régime avait déjà subies, des issues toujours plus larges qui s’ouvraient à l’esprit d’entreprise et à l’audace individuelle.

« Le privilège exclusif d’un corps de métier restreint nécessairement la concurrence, dans la ville où il est établi, à ceux auxquels il est libre d’exercer ce métier. Ordinairement, la condition requise pour obtenir cette liberté est d’avoir fait son apprentissage sous un maître ayant qualité pour cela. Les statuts de la corporation règlent quelquefois le nombre d’apprentis qu’il est