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en Angleterre depuis que les seigneurs, tentés par la séduction du luxe et de l’industrie des villes, ont licencié les suites féodales et cherché à obtenir de leurs terres le plus haut revenu net possible, a conquis peu à peu de la puissance et des garanties. Elle a prolongé la durée des baux de façon à s’abriter contre de trop brusques relèvements du fermage ; elle a conquis, au moins pour une partie des siens, le droit politique, le droit de concourir à l’élection de la Chambre des Communes ; elle a peu à peu, même en Écosse où la tradition féodale était le plus forte, élagué les services accessoires que le seigneur imposait d’abord, en sus des clauses capitales du bail, aux fermiers affligés encore d’un reste de vassalité. Elle a amené le fermage, débarrassé enfin de tout alliage féodal, à l’état purement capitaliste, à l’état de contrat. Elle a participé à la richesse croissante de l’agriculture, et c’est elle qui a constitué peu à peu presque tout le capital qui a donné à l’exploitation du sol toute sa puissance. Elle est devenue ainsi une des classes les plus influentes de l’État anglais.

Les garanties juridiques conquises par elle sur le domaine affermé étaient si fortes que, bien souvent, quand le propriétaire foncier voulait intenter une action en justice contre un tiers, auquel il reprochait une atteinte à sa propriété, ce n’est pas au nom de son droit de propriétaire qu’il introduisait l’action, mais c’est au nom du droit du fermier intéressé, pour son exploitation, à l’intégrité et à la sécurité du domaine.

« Quand les fermiers ont un bail pour un certain nombre d’années, ils peuvent quelquefois trouver leur intérêt à placer une partie de leur capital en amélioration nouvelle sur la ferme, parce qu’ils peuvent espérer de regagner cette avance, avec un bon profit, avant l’expiration du bail. Cependant la possession de ces fermiers fut elle-même pendant longtemps extrêmement précaire, et elle l’est encore dans plusieurs endroits de l’Europe. Ils pouvaient être légalement évincés de leur bail avant l’expiration du terme par un nouvel acquéreur, et en Angleterre même, par ce genre d’action simulée qu’on appelle action de commun recouvrement. S’ils étaient expulsés illégalement et violemment par leurs maîtres, ils n’avaient pour la réparation de cette injure, qu’une action très imparfaite. Elle ne leur faisait pas toujours obtenir d’être réintégrés dans la possession de la terre ; mais on leur accordait seulement des dommages-intérêts qui ne s’élevaient jamais au niveau de leur perte réelle. En Angleterre même, le pays peut-être de l’Europe où l’on a eu le plus d’égard pour la classe des paysans, ce ne fut qu’environ dans la quatorzième année du règne d’Henri VII qu’on imagina l’action d’expulsion, par laquelle le tenancier obtient non seulement des dommages, mais la possession de la terre, et au moyen de laquelle il n’est pas nécessairement déchu de son droit par la décision incertaine d’une seule assise. Ce genre d’action a même été regardé comme tellement efficace que, dans la pratique moderne, quand le propriétaire est obligé d’intenter une action pour la possession de