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tume de Paris qui est beaucoup plus favorable aux puinés, que la loi d’Angleterre, dans la succession des immeubles.

« Mais, dans les colonies françaises, si une partie quelconque d’un bien noble ou tenu à titre de foi et hommage est aliénée, elle reste assujettie pendant un certain temps à un droit de retrait ou rachat, soit envers l’héritier du seigneur, soit envers l’héritier de la famille et les plus gros domaines du pays sont tenus à fief, ce qui gêne nécessairement les aliénations. Or, dans une colonie nouvelle, une grande propriété sera bien plus promptement divisée par la voie de l’aliénation, que par celle de la succession. »

Enfin et surtout, le régime des grandes exploitations, des grandes fermes, s’était étendu depuis le xvie siècle à presque toute l’Angleterre. Thomas Morus a tracé, dans son Utopie, en quelques traits saisissants, le tableau de cette transformation sociale. À mesure que l’Angleterre s’industrialisait, qu’au lieu d’envoyer ses laines en Flandre, elle les exploitait et les tissait elle-même, les pâturages et l’élève du mouton se substituaient au labour et à la culture du blé.

Les travailleurs agricoles étaient appelés dans les manufactures, et de grands et riches fermiers gouvernant de vastes espaces, remplaçaient les petits tenanciers et les métayers ou colons partiaires d’autrefois. La culture et la propriété fermière passaient du mode féodal au mode capitaliste. Le régime féodal suppose que le seigneur ne peut pas exploiter lui-même ou par un fermier tout son domaine. Il en concède des parties à des tenanciers, qui deviennent de petits propriétaires, mais soumis à une multitude de redevances et enlacés d’innombrables liens. En un sens, si paradoxal que cela paraisse au premier abord, le régime féodal suppose la petite propriété. C’est la multiplicité même des petits propriétaires assujettis encore à des droits féodaux qui rendait en France la féodalité odieuse et intolérable. Là où, comme en Angleterre, les petites tenures sont absorbées par les grandes exploitations et les grands fermages, le principe féodal perd, pour ainsi dire, tout point d’application.

Le grand propriétaire même noble qui a délégué à un fermier, moyennant une rente, l’administration de son domaine, n’a aucun intérêt à le lier par des redevances féodales perpétuelles. Il a intérêt, au contraire, à ne conclure avec lui que des baux à terme ou tout au plus des baux à vie, de façon à pouvoir élever le fermage à mesure que s’élève la productivité du domaine et la rente de la terre.

Ainsi, le capitalisme industriel et agricole avait éliminé en Angleterre le régime féodal, avant qu’il fût balayé en France par le soulèvement des petits propriétaires ; et c’est l’aristocratie anglaise elle-même qui, dans son propre intérêt, avait substitué la grande propriété foncière moderne et capitaliste au système ancien des tenures féodales. Le métayage même, qui n’est pas, à vrai dire, un contrat féodal, mais qui apparaît à Smith tout voisin du