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une révolution politique, substituant la pleine démocratie au parlementarisme monarchique et oligarchique. On n’y pouvait concevoir une Révolution sociale analogue à celle de la France. Car la plupart des réformes sociales et économiques, pour lesquelles luttait la nation française, étaient déjà réalisées en Angleterre.

Au point de vue économique et social, la Révolution française demandait l’égalité des citoyens devant l’impôt, l’unification du marché intérieur par la suppression de toutes les barrières provinciales, et enfin l’abolition du régime féodal.

Or en Angleterre il n’y avait pas, en 1789, une caste privilégiée au regard de l’impôt : l’aristocratie payait exactement comme la bourgeoisie et le peuple. De plus, aucune entrave ne gênait, à l’intérieur, la circulation des marchandises. Quand Adam Smith résume les causes de la grandeur et de la richesse de l’Angleterre, il note expressément comme une des plus importantes : « la liberté illimitée de transporter toutes les espèces de marchandises d’un endroit du pays à l’autre, sans être obligé de rendre compte à aucun bureau public, sans avoir à essuyer des questions ou des examens d’aucune sorte. »

C’était déjà malgré bien des survivances corporatives, la liberté essentielle du travail, de l’industrie et des échanges. Et, quant au régime féodal, s’il en subsistait encore quelques faibles traces en Écosse, on peut dire qu’il avait été presque entièrement éliminé dans l’ensemble de l’Angleterre, par tout le mouvement économique, en particulier par le mouvement de la vie rurale.

Sans doute, il restait bien en Angleterre à la fin du xviiie siècle des rapports de féodalité, des liens de vassal à seigneur. Il y avait des domaines, des tenures qui devaient acquitter envers le seigneur un cens annuel.

Mais d’abord, les droits casuels, comme le droit de lods et ventes, qui pesaient si lourdement en France sur les transactions, avaient été dès longtemps abolis par un statut de Charles II. Ainsi, la propriété, même grevée d’un droit féodal annuel, pouvait être vendue et cédée sans payer aucun droit. De même le droit de retrait féodal, qui permettait pendant un certain temps à l’héritier du seigneur de racheter un fief aliéné, ne pesait pas sur la propriété anglaise. Ce régime plus libéral s’étendait aux colonies. Et il est, selon Adam Smith, une des causes de la supériorité des colonies anglaises.

« Dans toutes les colonies anglaises, les terres étant tenues à simple cens, cette nature de propriété facilite les aliénations, et le concessionnaire d’une grande étendue de terrain trouve son intérêt à en aliéner la plus grande partie le plus vite qu’il peut, en se réservant seulement une petite rente foncière… Les colonies françaises, il est vrai, sont régies par la cou-