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sont revenus avec le désespoir d’avoir fait d’inutiles efforts, et la douleur d’avoir vu égorger sous leurs yeux ceux qu’ils voulaient sauver. »

Non certes ; la démarche de l’Assemblée ne fut pas aussi vigoureuse que le dit Brissot : et si elle écouta « la voix expirante des lois et le cri de l’humanité » c’est d’un cœur qu’obsédaient d’autres pensées. Brissot lui-même blâme au fond la tentative des commissaires. Il ne voit dans la démarche de la Commune qu’un piège, et il aurait voulu que l’Assemblée, par une abstention complète, laissât à la Commune toutes les responsabilités. Ainsi, pendant que se continuait l’œuvre de mort, qui fut si longtemps et si terriblement exploitée contre la Révolution, les rivalités des partis et des hommes lui paralysaient sourdement le cœur. Robespierre manœuvrait comme la Gironde, et contre elle. Dans cette même séance de la Commune du 2 septembre au soir, où arrivaient d’intervalle en intervalle, comme des coups lugubres frappés à la porte, les nouvelles des massacres, Robespierre intervient avec Billaud-Varennes. Mais est-ce pour donner un conseil de clémence, pour dire une parole d’humanité ? Non ; il semble qu’en cette soirée sanglante aucune fibre n’ait tressailli en lui, si ce n’est des fibres de haine. Et encore ne s’abandonne-t-il pas aux fureurs du peuple déchaîné contre les traîtres, contre les complices de la royauté. Lui, il dénonce les Girondins ; dans la confusion du sol bouleversé, il ne perd pas, mineur patient, le filon de ses haines. Et pendant que le peuple frappe des ennemis, lui, il cherche à frapper des rivaux. Je vois tout à coup surgir du procès-verbal ces lignes extraordinaires : « MM. Billaud-Varennes et Robespierre, en développant leurs sentiments civiques, peignent la profonde douleur qu’ils éprouvent de l’état actuel de la France. Ils dénoncent au Conseil général un complot en faveur du duc de Brunswick qu’un parti puissant veut porter au trône des Français. » C’est contre la Gironde qu’il portait cette accusation meurtrière. Et à quoi sert de chicaner comme M. Ernest Hamel, sur les noms qu’il prononça ? « Deux noms, dit-il, trois peut-être, tombèrent de sa bouche, ceux de Carra et de Brissot, et lorsque dans la séance du 23 septembre à la Convention, Vergniaud reprocha à Robespierre envers lequel dit-il, il n’avait jamais prononcé que des paroles d’estime, de l’avoir impliqué lui, Brissot, Guadet, la Source, etc., dans le complot dénoncé à la Commune dans la nuit du 2 au 3 septembre, Robespierre se leva et dit avec l’énergie de la vérité : « Cela est faux. » À quoi Vergniaud répondit : « Je me féliciterai d’une dénégation qui me prouvera que Robespierre aussi a pu être calomnié. » Personne ne releva le démenti de Maximilien, et de la réponse de Robespierre à Louvet, il résulte qu’en effet il ne nomma que deux ou trois personnes déjà dénoncées par plusieurs de ses collègues comme ne cessant de décrier le Conseil général de la Commune. »

Merveilleux effets de la prévention ; et à quelle sophistique complaisante se laisse entraîner le probe historien ? C’est entendu. Robespierre n’a prononcé que deux ou trois noms. Mais c’était le nom de Carra, un des journa-