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« Il y a trois différentes classes du peuple : ceux qui vivent de rentes, ceux qui vivent de salaires et ceux qui vivent de profits. Ces trois grandes classes sont les classes primitives et constituantes de toute société civilisée. L’intérêt de la première de ces trois grandes classes (les rentiers de la terre) est étroitement et inséparablement lié à l’intérêt général de la société. Tout ce qui porte profit ou dommage à l’un de ces intérêts en porte aussi nécessairement à l’autre. Quand la nation délibère sur quelque règlement de commerce ou d’administration, les propriétaires des terres ne la pourront jamais égarer, même en n’écoutant que la voix de l’intérêt particulier de leur classe, au moins si on leur suppose les plus simples connaissances sur ce qui constitue cet intérêt. À la vérité, il n’est que trop ordinaire qu’ils manquent même de ces simples connaissances. Des trois classes, c’est la seule à laquelle son revenu ne coûte ni travail ni souci, mais à laquelle il vient, pour ainsi dire, de lui-même, et sans qu’elle y apporte aucun dessein ni plan quelconque. Cette insouciance, qui est l’effet naturel d’une situation aussi tranquille et aussi commode, ne laisse que trop souvent les gens de cette classe, non seulement dans l’ignorance des conséquences que peut avoir un règlement général, mais les rend même incapables de cette application d’esprit qui est nécessaire pour comprendre et pour prévoir ces conséquences. »

Mais qu’on les éclaire, qu’on les habitue à la réflexion, et leur égoïsme même, intelligent et informé, servira les intérêts nouveaux de l’Angleterre industrielle.

Adam Smith est si convaincu que la puissance industrielle de l’Angleterre est arrivée à maturité, qu’il rejette tous les moyens artificiels par lesquels l’industrie anglaise s’était soutenue ou avait cru se soutenir jusque-là. À vrai dire, il ne croit pas possible d’obtenir des marchands et manufacturiers, qui exercent une action très grande sur le gouvernement du pays, qu’ils renoncent entièrement aux faveurs du système mercantile, aux droits de douane qui arrêtent ou gênent l’importation, aux primes dont est gratifiée l’exportation.

Mais ce n’est pas la nature des choses, ce n’est pas l’intérêt bien compris de l’industrie et du commerce, c’est l’égoïsme aveugle, impatient et ignorant des marchands et manufacturiers qui s’oppose à l’entière liberté commerciale, au libre échange.

« À la vérité, s’attendre à ce que la liberté du commerce puisse jamais être entièrement rendue à la Grande-Bretagne, ce serait une aussi grande folie que de s’attendre à y voir jamais se réaliser la République d’Utopie ou celle de l’Oceana. Non seulement les préjugés du public, mais ce qui est encore beaucoup plus difficile à vaincre, l’intérêt privé d’un grand nombre d’individus y opposent une résistance insurmontable. Si les officiers de l’armée s’avisaient d’opposer à toute réduction dans l’état militaire des efforts aussi bien concentrés et aussi soutenus que ceux de nos maîtres manufacturiers contre