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propriétaire et dans une proportion encore plus forte. Non seulement la valeur réelle de la part du propriétaire, le pouvoir réel que cette part lui donne sur le travail d’autrui, augmentent avec la valeur réelle du produit, mais encore la proportion de cette part, relativement au produit total, augmente aussi avec cette valeur.

« Tous les progrès, dans la puissance productive du travail, qui tendent directement à réduire le prix réel des ouvrages de manufacture, tendent indirectement à élever la rente réelle de la terre. C’est contre des produits manufacturés que le propriétaire échange cette partie de son produit brut qui excède sa consommation personnelle, ou ce qui revient au même, le prix de cette partie. Tout ce qui réduit le prix réel de ce premier genre de produit élève le prix réel du second ; une même quantité de ce produit brut répond dès lors à une plus grande quantité de ce produit manufacturé, et le propriétaire se trouve à portée d’acheter une plus grande quantité de choses de commodité, d’ornement ou de luxe qu’il désire se procurer.

« Toute augmentation dans la richesse réelle de la société, toute augmentation dans la masse du travail utile qui y est mis en œuvre, tend indirectement à élever la rente réelle de la terre. Une certaine portion de ce surcroît de travail va naturellement à la terre. Il y a un plus grand nombre d’hommes et de bestiaux employés à sa culture ; le produit croit à mesure que s’augmente ainsi le capital destiné à le faire naître, et la rente grossit avec le capital. »

Ainsi, Adam Smith, s’il n’enchaîne pas à la terre l’essor de l’industrie, est bien loin de négliger la richesse agricole. Il montre, au contraire, qu’elle est liée à la richesse générale et particulièrement à la croissance de la productivité industrielle. Ce n’est pas seulement la richesse agricole dans son ensemble qui grandit, selon Smith, avec le progrès de l’industrie. C’est encore, c’est surtout la richesse du propriétaire foncier, c’est la rente du sol.

L’industrie, dans sa sphère propre, subordonne de plus en plus la rente au profil et au travail. Mais elle a pour conséquence indirecte d’accroître, dans la sphère agricole, la valeur absolue et la valeur relative de la rente de la terre.

Du coup, dans la large théorie d’Adam Smith, voilà les grands propriétaires fonciers, voilà l’aristocratie foncière d’Angleterre intéressés au progrès industriel, à l’essor général de la production et de la richesse. Et je comprends que William Pitt, qui cherchait à concilier la tradition et le mouvement, qui avait le sens très net des nécessités industrielles nouvelles et le souci de ménager les forces conservatrices, ait fait du livre d’Adam Smith son évangile économique. À vrai dire, Smith n’espère pas que l’aristocratie foncière anglaise, souvent paresseuse et frivole, perçoive d’emblée l’harmonie de son intérêt de classe à l’intérêt général de la nation et du mouvement de l’industrie.