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d’extraits que je peux, car le livre appartient à la Convention nationale, à laquelle il a été envoyé. »

Quelles dramatiques rencontres des idées et des esprits ! et quels enchaînements de la démocratie et du communisme ! Le plus hardi lutteur révolutionnaire de l’Allemagne, le seul homme d’action qui se soit levé de la démocratie allemande est à Paris, et là, au lendemain même du jour où il a lu, avec un plaisir mêlé de résistance, l’œuvre d’un communiste allemand, il lit avec joie l’œuvre du grand communiste anglais, sur l’exemplaire que celui-ci a envoyé à la Convention nationale.

La Révolution française dépassait et débordait infiniment même ses propres affirmations immédiates, même la forme présente où elle enfermait la réalité. Elle avait beau répudier la loi agraire, maintenir la propriété individuelle : comme elle était l’extrême démocratie, le communisme démocratique allait à elle, se reconnaissait en elle. Elle était comme le centre ardent de toutes les idées nouvelles, et en cette fournaise il y avait une telle puissance de chaleur et de flamme qu’elle-même pourrait dévorer bientôt les moules provisoires qu’elle avait fondus. Aussi, en l’esprit de Forster, penché sur la Révolution, le communisme un peu abstrait et utopique de l’écrivain allemand s’échauffait soudain, et rayonnait de toutes les forces de la vie.

Il n’y avait donc pas une seule force de la pensée française qui n’eût son équivalent ou son analogue en Allemagne. Visiblement, toute la Révolution en tous ses éléments, en toutes ses tendances, agissait sur l’Allemagne et y pénétrait. Mais comme toutes ces forces y étaient amorties ! Comme le mouvement en Allemagne est lent et incertain, contrarié par toutes les défiances de l’esprit national en formation ! Ce n’est que peu à peu, et sous une forme nationaliste, que l’Allemagne assimilera une partie de la Révolution française. Et nous pouvons être sûrs dès la fin de 1792, que la Révolution française se heurtera, en Allemagne, à bien des obstacles.

En Suisse aussi, elle se heurtait à bien des résistances et des défiances. Dans plusieurs cantons, à Zurich, à Berne, les influences aristocratiques dominaient. Un patriciat de nobles et de riches bourgeois avait absorbé presque tout le pouvoir. À Genève, pendant tout le xviiie siècle, la lutte s’était poursuivie entre l’aristocratie et la démocratie, comme l’a très nettement montré M. Henri Fazy dans sa substantielle étude sur les Constitutions de Genève. En 1781, la démocratie avait fait un grand effort, et elle avait un moment obtenu la victoire. Par l’édit du 10 février 1781, les pouvoirs du Conseil général, c’est-à-dire du peuple, furent renforcés ; des garanties essentielles furent accordées aux natifs, c’est-à-dire aux descendants de ceux qui étaient venus s’établir à Genève ; la liberté du travail et de l’industrie, réservée jusque-là à certaines catégories bourgeoises, fut étendue à la plupart des habitants, et des atteintes assez profondes furent portées au système féodal.