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froid, à peine colorée d’un pâle reflet lointain des événements. Et pourtant, il n’est pas sans intérêt que dans la fermentation des idées allemandes sous l’action révolutionnaire, des germes de communisme aient apparu. L’esprit pratique et passionné de Forster ne voyait pas dans ce livre un simple thème d’école. Sans doute, il résistait au communisme. Mais dans la vie d’épreuves et de combat à laquelle les vicissitudes de la Révolution l’avaient condamné, il n’aurait eu que dégoût pour une œuvre abstraite et vaine.

Dans l’atmosphère passionnée par la Révolution toutes les idées prenaient vie. Chose curieuse ! à peine Forster, dans sa lettre du 19 juillet 1793, a-t-il fait ses réserves sur le communisme, qu’il est amené à protester avec violence contre les prétentions de la propriété à s’imposer comme un droit indiscutable. La contre-révolution était victorieuse en Allemagne, et elle proclamait que nul n’aurait le droit d’écrire s’il ne reconnaissait pas d’abord la propriété comme un principe essentiel et intangible. Évidemment, à l’abri du « droit de propriété », elle voulait sauver les formes anciennes, féodales et ecclésiastiques, de la propriété. Forster s’indigne dans sa lettre du 23 juillet :

« Du ton de la proclamation, je dois conclure que c’en est fait de toute justice, de toute liberté vraie en Allemagne. Quoi ! si l’on veut avoir la permission d’écrire, il faut reconnaître le sentiment de la propriété comme le principe de l’ordre social ? Et pourtant, cet ordre pourrait très bien subsister sans ce sentiment, et même sans la chose (la propriété) qui, quelque important que soit et puisse être son rôle, ne peut pas être déclarée essentielle. »

Forster a fait du chemin en quelques jours. Est-ce l’effet du livre qu’il avait lu peu auparavant, et dont la tendance communiste, d’abord combattue par lui, agissait peu à peu sur son esprit ? Est-ce surtout la colère contre la réaction allemande, qui prétendait enchaîner la pensée, et Forster a-t-il pensé que les diverses formes de la propriété individuelle, malgré leur antagonisme momentané et superficiel, étaient au fond solidaires, et qu’à trop soutenir contre le communisme la propriété privée, on faisait le jeu de la propriété féodale elle-même ? Ou bien encore est-ce l’effet du livre communiste de l’Anglais Godwin s’ajoutant au livre communiste de l’écrivain allemand qui a ouvert à l’esprit actif de Forster des voies nouvelles ? Par une curieuse rencontre, il lit en effet, en ces mêmes jours de juillet 1793, le livre admirable de Godwin :

« J’ai devant moi, écrit-il dans la même lettre du 23 juillet, un livre qui m’occupe beaucoup, deux volumes in-quarto de William Godwin : Enquiry on political justice (Recherches sur la justice politique). C’est une œuvre philosophique très forte, où il étudie le moyen de fonder enfin sur la raison, la morale et leurs bases inébranlables, toute la société humaine et toute l’organisation gouvernementale. C’est une œuvre pleine d’un zèle hardi et saint pour la vérité, et riche de connaissances, qui agira certainement dans l’avenir, même si elle ne pouvait avoir une action immédiate. J’en fais pour moi le plus