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substantiels et vrais, le zèle de la propriété privée, la convoitise et l’orgueil qui en sont inséparables ont suscité des progrès factices et funestes.

« La mode use au service de ses caprices et de ses frivolités d’innombrables forces de travail. Des littérateurs de pacotille fabriquent des romans à la grosse, pour remplir un peu la tête vide des femmes. Les vrais artistes, ceux qui créent des formes sévères et pures de beauté, sont rebutés par les princes, par les riches, maîtres de l’art même et du beau par la puissance de l’or. Le travail et la vie même des peuples sont comme pétrifiés en palais fastueux et médiocres, où éclatent la vanité et la sottise. C’est à peine si, de loin en loin, une pure fleur de beauté et de noblesse peut éclore. Les éducateurs de la nation, pauvres, dédaignés et blêmes, ne lui communiquent que tristesse et incertitude. Voilà au moins une part des effets de la propriété privée. Elle parvient encore à tromper l’homme sur sa propre nature. Parce que la propriété dirige et égare l’industrie, parce qu’elle lui impose des œuvres inutiles ou insensées, on croit que c’est la propriété qui suscite l’industrie. Non : elle la pervertit, elle ne la crée pas. Elle la précipite en de faux chemins ; elle n’en est pas le ressort.

« Le principe de toute activité est le sentiment de la force. Si ce sentiment est dès la jeunesse nourri et dirigé par le travail, alors l’emploi de cette force devient une nécessité absolue, et le mode d’emploi de cette force est déterminé en partie par la direction qui lui est systématiquement donnée, en partie par le goût de la nation. C’est à l’éducation à décider du mode selon lequel cette force de travail s’exercera. Et le jour où l’intérêt de l’État ne se confondrait pas artificiellement avec l’intérêt de castes d’exploitation et d’oppression, le jour où l’État aurait secoué le lourd parasitisme des hommes de loi, des douaniers, des bourreaux, des moines, ce jour-là l’irrésistible force de travail se dirigerait vers l’intérêt commun de l’État et des individus, vers le bien-être large et sain de tous. »

« Dans les communautés des frères Moraves, qui n’ont point de propriété individuelle, qui sont seulement les administrateurs temporaires du domaine commun, le travail est très actif, et l’industrie très perfectionnée. Et si ces hommes paraissent tristes et sombres, c’est à cause de la dureté de leur loi religieuse, ce n’est point parce qu’ils sont déliés par le communisme des soucis et des luttes de la vie.

« Ce n’est pas la forme politique, la forme extérieure des sociétés qu’il importe de changer. Les régimes politiques les plus divers peuvent être bons, s’ils préservent les citoyens de l’arbitraire. Mais ce sont les mœurs, les systèmes d’éducation et les institutions sociales qu’il faut renouveler pour substituer la paix et la joie de la propriété commune aux conflits et aux douleurs que suscite la propriété privée.

« Mais qu’adviendra-t-il des métiers les plus bas et pourtant les plus nécessaires, et auxquels on ne se soumet que par cette extrême nécessité qui ne