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Mais il y eut du flottement dans la pensée de la Commune. Après avoir envoyé des commissaires pour protéger uniquement les prisonniers pour dettes, il semble, d’après le procès-verbal, qu’elle se ravise, mais combien incertaine et timide ! et songe à étendre sa protection à tous les prisonniers : « On nomme des commissaires pour se transporter à la prison de l’Abbaye protéger les prisonniers. » Un peu plus tard encore, « un membre raconte ce qui se passe à l’Abbaye ; les citoyens enrôlés, craignant de laisser leur ville au pouvoir des malveillants, ne veulent point partir que tous les scélérats du 10 Août ne soient exterminés. »

Évidemment, la Commune laisse faire ; mais pour dégager sa responsabilité, « le Conseil arrête que quatre commissaires se transporteront à l’Assemblée nationale sur-le-champ, pour lui rendre compte de ce qui se passe actuellement aux prisons et quelles mesures on peut prendre pour préserver les prisonniers ».

Ainsi la Commune voulait passer à l’Assemblée législative le fardeau de ces terribles événements. L’Assemblée s’était réunie, en une deuxième séance, à six heures du soir. La délégation du Conseil général de la Commune parut à la barre : « Il se fait des rassemblements autour des prisons et le peuple veut en forcer les portes. C’est en vain que la plupart des conseillers généraux de Paris se sont portés au devant du peuple partout où il y avait du danger. Déjà plusieurs prisonniers sont immolés, les moments sont pressants. Le peuple est tout disposé à marcher aux frontières, mais il conçoit de justes alarmes sur l’intention d’un grand nombre de personnes arrêtées et prévenues de crimes de contre-révolution. »

Sur la proposition de Basire, ami de Danton, l’Assemblée nomme aussitôt douze commissaires. Mais je n’entends aucun cri de pitié ; je n’entends pas la protestation de Thuriot. L’Assemblée semble s’acquitter en silence d’une formalité pénible. Les commissaires, aux derniers rayons du soleil d’automne déclinant, assistent, impuissants, à la tuerie, et le vieux Dussaulx, le traducteur de Juvénal, retourne à l’Assemblée : « Les députés que vous avez envoyés pour calmer le peuple sont parvenus avec beaucoup de peine aux portes de l’Abbaye. Là nous avons essayé de nous faire entendre. Un de nous est monté sur une chaise, mais à peine eut-il prononcé quelques paroles que sa voix fut couverte par des cris tumultueux. Un autre orateur. M. Basire, a essayé de se faire écouter par un début adroit ; mais quand le peuple vit qu’il ne parlait pas selon ses vues, il le força de se taire. Chacun de nous parlait à ses voisins à droite et à gauche, mais les intentions pacifiques de ceux qui nous écoutaient ne pouvaient se communiquer à des milliers d’hommes rassemblés. Nous nous sommes retirés et les ténèbres ne nous ont pas permis de voir ce qui se passait, mais je ne saurais rassurer l’Assemblée sur les suites de cet événement malheureux. Le peuple est surexcité au point de n’écouter personne. Il craint d’être trompé. »