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mes biens. C’étaient les biens de mon père, ils sont restés siens jusqu’à sa mort, car ce contrat qui, dans le monde des phénomènes, est nul devant la juridiction du droit naturel comme devant celle du droit social, n’a pu les aliéner. Il pouvait à la vérité y renoncer volontairement, et j’aurais pu confirmer sa volonté par mon silence, alors l’État n’aurait pas été pris à partie. Mais maintenant je ne confirme pas cette volonté, et j’interpelle l’État. Je puis abandonner mon droit, mais l’État ne le peut à ma place. — Mais mon père a cru ; pour lui, ce contrat était un lien. — Il a paru croire ; s’il a réellement cru, je n’en sais rien ; croit-il encore, s’il existe ? Je le sais encore moins. On peut dire ce qu’on voudra. Même avec mon père, je n’ai point affaire à un membre du monde invisible, mais à un membre du monde visible, et particulièrement de l’État. Il est mort, et dans l’État c’est moi qui occupe sa place. S’il vivait encore et s’il se repentait de s’être dessaisi, aurait-il le droit de reprendre ses biens ? Il l’aurait, donc je l’ai, car dans l’État je suis lui-même, je représente la même personne physique… Si mon père ne veut pas cela, qu’il revienne dans le monde visible, qu’il y reprenne possession de ses biens, et qu’il s’en dépouille ensuite comme il lui plaira. Jusque-là j’agis en son nom. -- Mais puisqu’il est mort dans la foi, j’agis plus sûrement en me conformant à sa foi ; je puis bien risquer mon âme, mais non celle d’un autre. — Oh ! si je pense ainsi, je ne suis pas décidément incroyant à l’égard de l’Église ; alors j’agis de façon inconséquente et folle si je risque même mon âme seule. Ou l’Église a dans une autre vie une puissance efficace ou elle ne l’a pas. Là-dessus, il faut arriver à une opinion ferme. Aussi longtemps que je ne l’ai pas, il est plus sûr pour moi de ne pas toucher aux biens d’Église ; car l’Église maudit, et cela de son plein droit, tous les spoliateurs de l’Église jusqu’au dernier jour. Le droit de revendication qu’a le premier héritier, le second l’a aussi et le troisième et le quatrième, et cela dans toute la suite des générations, car l’héritier n’hérite pas seulement des choses, mais des droits sur les choses.

« Mais les principes ainsi posés ont des conséquences plus vastes encore, et nous n’avons aucune raison de nous arrêter dans la voie des déductions possibles. Même en admettant que cette idée doive être limitée par des considérations ultérieures, qu’elle n’ait pas son application dans la réalité de la vie et qu’elle se réduise à un exercice de la réflexion, non seulement l’héritier régulier, mais tout homme, sans exception, a le droit de s’approprier des biens qui sont purement des biens d’Église. L’Église, comme telle, n’a ni force ni droit dans le monde visible ; pour celui qui ne croit pas à elle, elle n’est rien, et ce qui n’appartient à personne est la propriété du premier qui s’en empare dans le monde visible. Je m’installe en un point de la terre (je ne décide pas ici, à dessein, s’il y a en ce point trace d’un travail antérieur ou non), et je commence à le travailler pour me l’approprier. Tu viens, et tu me dis : « Retire-toi de là, cette place appartient à l’Église. » — Je ne sais rien d’aucune