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« Le procureur de la Commune demande que chaque section soit invitée à réclamer ceux de son arrondissement qui sont détenus pour causes énoncées ci-dessus, ainsi que les militaires détenus pour faits de discipline.

« Sur la proposition de faire sortir de Sainte-Pélagie les prisonniers qui y sont purement pour dettes et reconnus comme tels par la vérification de l’écrou, le Conseil arrête que la prison de Sainte-Pélagie sera ouverte. « On propose pour amendement de faire sortir de prison tous ceux qui y sont pour dettes et pour mois de nourrice, ainsi que pour causes civiles. Arrêté. »

Ainsi, et de toute évidence, le premier mouvement de la Commune est de ne protéger que les prisonniers pour dettes. Et par cela seul qu’elle ne s’occupait pas des autres, elle les livrait. Elle faisait officiellement deux catégories parmi les prisonniers : ceux qui ne devaient pas être égorgés, et les autres. Voilà la première pensée de la Commune, et elle aura beau revenir ensuite à des sentiments plus humains, cette pensée première, subsistant malgré tout, empêchera toute démarche décisive.

D’où vient cette abstention complaisante de la Commune ? N’eut-elle point assez de largeur d’âme et de pensée pour s’élever au-dessus de ces fureurs d’un jour et pour songer à l’humanité et à l’avenir ? Il me parait peu probable, quelle que fût son exaltation, qu’elle ait pensé qu’il y aurait péril pour la Révolution à laisser juger les prévenus par le tribunal criminel du 17 août.

Craignait-elle de paraître désavouer Marat, son inspirateur, son journaliste quasi officiel, qui le 19 août avait montré au peuple le chemin de l’Abbaye et conseillé le massacre ? Elle avait si souvent dénoncé depuis le Dix Août les lenteurs de la justice, les hésitations des pouvoirs légaux, qu’elle n’osait pas intervenir pour arrêter « la justice du peuple » enfin déchaînée. Qui sait d’ailleurs si, en arrêtant ce mouvement populaire, elle n’en désignerait pas les auteurs à la vengeance des lois ? Pour qu’il fût impuni il fallait qu’il fût victorieux. Peut-être aussi, malgré l’apparente réconciliation du matin et les flatteuses effusions de Vergniaud, la Commune meurtrie en son amour-propre aussi bien qu’en son pouvoir, par le décret de l’Assemblée qui l’avait dissoute, n’était-elle point fâchée de montrer à la Législative qu’en se débarrassant de la Commune révolutionnaire, elle ne s’était pas débarrassée du peuple révolutionnaire. « Elle nous a brisés ; elle éprouvera maintenant jusqu’où va la passion du peuple quand elle se déploie spontanément et n’a plus de régulateur. » Enfin j’imagine, sur des indices que je relèverai tout à l’heure, qu’elle entrevit dans ce mouvement populaire, dans cette terrible agitation qui confondait à nouveau toutes les notions de légalité, une occasion de prolonger son pouvoir révolutionnaire, de s’imposer à la Législative finissante et à la Convention qui allait venir. Justement la France était en plein travail électoral ; les événements semblaient marquer d’un sceau de révolution même les puissances légales qui se formaient en une pareille crise.