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de droit de ses propres prétentions. Et on aurait paré au danger beaucoup mieux par une adresse fortement motivée que par de ridicules dragonnades et de déshonorantes condamnations au régime de forteresse. (Les paysans armés de faux et de fourches n’auraient pas tardé à renoncer à toute attaque ; mais le lieutenant N… vengea l’honneur des armes de l’État de S…, raconte un pompeux historien de cette glorieuse expédition.) — Mais contre la façon de percevoir ces intérêts il y a beaucoup à objecter. Je ne veux pas parler du dommage que cause à tous le droit de pacage. Après toutes les démonstrations qui en ont été faites et qui sont demeurées stériles, il paraît inutile de se dépenser encore en arguments. Je ne veux pas parler non plus de la dépense de temps et de forces, et de la dégradation morale qui résulte pour tout l’État du système des corvées. Les mêmes mains qui travaillent à la corvée sur le champ du seigneur, le plus languissamment possible, parce qu’elles travaillent à regret, travailleraient autant que possible sur un champ à elles. Le tiers des corvéables, loués à un salaire raisonnable, produiraient plus que ces travailleurs forcés tous ensemble. L’État aurait gagné les deux tiers des travailleurs ; les campagnes seraient mieux travaillées et utilisées ; le sentiment de la servitude, qui corrompt profondément le paysan, les plaintes réciproques qui s’élèvent entre lui et le seigneur, et le mécontentement où il est de son propre état, disparaîtraient. Il serait bientôt un homme meilleur et le seigneur aussi. Je veux aller au fond même de la question, et je demande : D’où vient le droit de vos « branches de fer », de vos cens perpétuels, de vos redevances éternelles ? Je vois bien que tout cela procure les plus grands avantages à ceux qui possèdent, et particulièrement à la noblesse, qui a imaginé ces formes de redevances. Mais je ne demande pas où est votre intérêt, je demande où est votre droit. — Votre capital ne doit pas vous être dérobé, cela se comprend de soi-même. Nous ne pouvons pas non plus vous obliger à en recevoir de nous la compensation en argent. Vous êtes copropriétaires de notre bien, et nous ne pouvons vous obliger à nous vendre votre part, si vous ne voulez pas vous en défaire. Soit ! Mais qui nous dit pourquoi ce seul bien est nécessairement indivisible, et ne doit former qu’un seul bien ? Si votre copropriété et la façon particulière dont vous l’exercez ne nous plaisent plus, pourquoi n’aurions-nous pas le droit de vous rendre votre part ? Si je possède deux charrues de terre, et si je n’ai payé que la moitié de leur valeur, parce la seconde moitié doit rester votre « capital de fer », la moitié de deux charrues n’est-ce point une charrue ? J’en ai payé une, et la seconde est à vous : je garde la mienne, reprenez la vôtre. Qui pourrait élever un grief contre cette opération ? — Vous est-il au plus haut point incommode de la reprendre ? Soit, s’il peut m’être commode à moi de la garder, faisons un nouveau contrat sur le mode de règlement des intérêts, qui soit avantageux non seulement pour vous, mais pour moi. Si nous sommes unis, les choses peuvent aller ainsi. — Voilà les principes de droit, d’où procèdent des