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ils pas la force morale de refuser les offres qui pourraient leur être faites, et de maintenir en fait l’inaliénabilité du domaine ? Pourquoi font-ils appel à l’intervention de la loi, qui met hors du commerce une partie de la terre allemande ? Déjà, pour faciliter l’échange des biens de chevaliers entre nobles, la noblesse a créé des caisses de prêt, qu’elle alimente seule, ou avec le concours de l’État, et où elle puise seule. C’est, dit Fichte, une combinaison assez égoïste, et ce crédit de caste est bien étroit. Mais enfin, il n’y a rien là qui offense la justice. Pourquoi les nobles vont-ils au delà, et excluent-ils la bourgeoisie et le paysan du droit d’acquérir certaine catégorie de biens ? Il faut que le principe des biens de chevaliers tombe.

« Mais il y a d’autres privilèges, dont la noblesse est jalouse et qu’elle n’abandonnera pas volontiers aux mains du citoyen. Examinons-les donc pour voir si le propriétaire foncier, qu’il soit noble ou non, est vraiment fondé à les revendiquer. Nous trouvons d’abord des droits sur les biens des paysans, corvées déterminées ou indéterminées, droits de pacage et pâturage, et autres analogues. Nous ne voulons pas rechercher l’origine réelle de ces droits ; supposé que nous en découvrions l’injustice, nous n’aurons rien avancé par là, parce que sans doute il serait impossible de trouver les vrais descendants des premiers oppresseurs et des premiers opprimés, et de désigner à ceux-ci l’homme auprès duquel ils auraient à se pourvoir. — Mais l’origine du droit est aisée à montrer. Voici comment on justifie théoriquement et juridiquement ces redevances. Les champs ne sont qu’en partie ou ils ne sont pas du tout la propriété du paysan, et celui-ci est obligé de payer l’intérêt ou bien du capital du maître foncier engagé sur sa terre (c’est ce qu’on appelle en langage féodal : eiserner stamm, la branche de fer), ou bien même de la totalité du domaine ; et cet intérêt, cette rente, il ne la paie pas en argent, en monnaie, mais en services, en avantages procurés par lui au maître foncier sur le domaine qu’il ne possède que sous condition ou à titre de prêt. Même si ces privilèges ne s’étaient pas constitués ainsi à l’origine, tout s’équilibre par l’échange des biens de chevaliers et des biens de paysans. Il est naturel que le paysan paye d’autant moins pour l’achat de son domaine que les charges qui pèsent sur ce domaine et les intérêts comptés en argent représentent un capital plus considérable, et que le possesseur d’un bien de chevalier paie d’autant plus pour l’achat de ce domaine que les services des paysans qui s’y rattachent, évalués en capital, sont plus importants. Dès lors, celui-ci a en réalité payé la valeur des redevances, et c’est à bon droit qu’il exige le payement des intérêts. Contre la légitimité de cette revendication en soi il n’y a rien à dire, et c’était au reste par une grossière attaque au droit de propriété, qu’il y a quelques années, les paysans d’un certain État voulaient se soustraire violemment, et sans la moindre indemnité, à ces services. Cette attaque au droit de propriété provenait de l’ignorance des paysans, et aussi de l’ignorance d’une partie de la noblesse, qui n’était pas renseignée sur le fondement