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ploraient la misère de la reine. En vérité ce n’est pas la bonté d’âme qui fait défaut à notre temps. Mais toutes ces plaintes impliquent un système, et ce système c’est celui-ci : Il y a une classe de mortels qui a je ne sais quel droit à contenter toutes les fantaisies que lui peut suggérer l’imagination la plus déréglée. Il y a une seconde classe qui n’a pas droit tout à fait à autant de besoins que la première. Il en est une troisième qui n’a pas tout à fait autant de droits que la seconde, jusqu’à ce qu’enfin on soit descendue une classe qui doit être privée du plus strict nécessaire pour assurer à ceux d’en haut le plus large superflu. »

Donc la servitude personnelle sera abolie sans autre indemnité qu’une pension modeste aux privilégiés d’hier que leur privilège même aura rendu incapables de gagner leur vie. Ce sera une indemnité, non pas du dommage qui leur est causé par la suppression du privilège, mais au contraire, du dommage qui leur fut causé par le privilège. Et ici encore, sous l’âpre ironie juridique, il y a ce souci des ménagements et des transitions qui ne quitte jamais la pensée allemande, même chez les révolutionnaires véhéments comme Fichte.

Pour ce que les Constituants appelaient la servitude réelle, pour ce que Fichte appelle les droits sur les choses, en un mot pour toutes les redevances féodales, cens, corvées, etc., qui n’entraînent pas ou ne suppriment pas directement la liberté individuelle, c’est au système du rachat qu’adhère Fichte. L’esprit révolutionnaire des paysans de France est parvenu jusqu’à lui, mais atténué, comme on le verra, et amorti.

Il attaque à fond le privilège nobiliaire. La noblesse avait un sens dans le monde antique, où de larges espaces s’ouvraient aux héroïques initiatives. La gloire de la famille excitait les descendants à déployer à leur tour les grandes et audacieuses vertus. Mais les sociétés modernes sont un mécanisme bien réglé où toutes les activités sont également prises. Aussi bien, Fichte trouve inutile et injuste d’abolir, par la loi, les noms de noblesse, d’arracher à des familles illustres leur désignation traditionnelle, et en ce point il se sépare de l’Assemblée constituante. Il veut même laisser subsister les titres de noblesse qui ont fini par s’incorporer au nom de certaines familles. Mais il demande que nul ne soit tenu, par la loi, de désigner sous ces titres telle ou telle personne et de la saluer d’un : Monsieur le comte ou Monsieur le baron. Il demande en outre (et cela est en réalité l’abolition des titres de noblesse) que chaque citoyen puisse s’en affubler à son gré.

Mais ce sont les privilèges de propriété, plus encore que les privilèges de vanité, qu’il veut détruire. D’abord, les nobles se sont réservé une certaine catégorie de biens, les biens de chevaliers (Rittergüter), que des nobles seuls peuvent acquérir. Ici l’or bourgeois perd sa valeur, il n’a plus puissance d’achat. Les nobles prétendent que la propriété foncière est la base nécessaire de leur privilège de noblesse. Soit ; mais alors pourquoi les fils n’auraient-