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profonds à réfléchir sur les principes mêmes de l’économie sociale ? Tout au fond de l’abîme ouvert par les convulsions de la terre, c’est la force de travail qui, comme une source chaude et impétueuse, bouillonnait et jaillissait.

Mais de quel dédain Fichte accueille les privilégiés qui, brusquement privés de l’exploitation du travail des autres, ne pourront plus vivre ! Et avec quelle ironie terrible, toute pénétrée de gravité juridique, il leur offre une indemnité ! « Si donc le privilégié ne peut plus alléguer, pour s’annexer la force de travail des autres, le droit de la propriété héréditaire, il doit travailler, qu’il le veuille ou non. Nous ne sommes pas tenus de le nourrir.

« Mais il ne peut pas travailler, dit-il. Dans la confiance que nous continuerions à le nourrir par notre travail il a négligé d’exercer et de former ses propres forces, il n’a rien appris qui lui permette de se nourrir, et maintenant il est trop tard, maintenant ses forces sont trop affaiblies et rouillées par une longue paresse pour qu’il soit encore en son pouvoir d’apprendre quelque chose d’utile. — Et de cela vraiment nous sommes responsables par le contrat peu sage que nous avions consenti. Si nous ne lui avions pas laissé croire dès sa jeunesse que nous le nourririons sans aucun effort de sa part, il aurait dû apprendre quelque chose. Nous sommes donc tenus, et cela en vertu du droit, à l’indemniser, c’est-à-dire à le nourrir, jusqu’à ce qu’il ait appris à se nourrir lui-même. »

Oui, terrible déduction juridique. La seule chose que nous devions au privilégié, c’est une indemnité pour les habitudes de paresse et d’incapacité que notre complaisance a créées en lui. « Mais comment devons-nous le nourrir ? Devons-nous continuer à manquer du nécessaire pour qu’il puisse nager dans le superflu, ou bien suffit-il de lui donner l’indispensable ? »

Écoutez quel accent de colère révolutionnaire vibre dans la réponse de Fichte et comme il a été irrité par tout l’étalage de fausse pitié où se complaisaient, à l’égard de la famille royale et des princes de France, les contre-révolutionnaires allemands : « On a vu parmi nous bien des sentiments mélancoliques et on a entendu bien des plaintes au sujet de la misère supposée de beaucoup d’hommes qui étaient tombés soudain de la plus grande splendeur dans une condition bien plus médiocre.

« Ces plaintes venaient d’hommes qui dans leurs jours les plus heureux n’ont jamais eu le bien-être dont jouissent, dans leurs jours les plus mauvais, ceux sur lesquels ils s’apitoyent, et qui tiendraient pour un bonheur extrême le faible reste du bonheur de ceux-ci. L’effroyable gaspillage de la table d’un roi a été un peu restreint, et des gens qui n’ont jamais eu et n’auront jamais une table comparable à cette table royale un peu diminuée, regrettent ce roi. Une reine a manqué quelque temps de quelques bijoux, et ceux qui auraient été bien heureux s’ils avaient pu partager ce manque, dé-