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féodal et clérical. C’est l’absolutisme monarchique qu’il condamne. « Là où la liberté de la pensée est entière, la monarchie absolue ne peut exister. » Mais surtout c’est la propriété nobiliaire, féodale et ecclésiastique qu’il dissout par une analyse d’une force et d’une précision extrêmes. Visiblement, toutes les grandes mesures d’expropriation de la Révolution française sont présentes à sa pensée. Il commence par répudier toute loi agraire. « Tout homme a originairement un droit d’appropriation sur toute la terre. Mais on ne pourrait déduire de là que tout homme a droit à une part égale du sol et que la terre doit être divisée entre eux par portions égales, comme le prétendent quelques écrivains français, que si l’on confond le droit d’appropriation avec le droit de propriété. Mais lorsque l’homme, s’étant approprié une partie de la nature, en a fait, au moyen de ses travaux, sa propriété, il est clair que celui qui travaille davantage peut posséder davantage et que celui qui ne travaille pas ne possède rien légitimement. »

Mais si la propriété individuelle fondée par le travail et mesurée par lui est juste et nécessaire, tous les contrats par lesquels des hommes ont aliéné au profit d’autres hommes une partie d’eux-mêmes sont précaires et révocables. Les hommes ont été contraints d’aliéner soit une partie de leur droit sur eux-mêmes, soit une partie de leur droit sur les choses. Quand l’homme s’engage à donner à un autre homme ou tout son travail, ou une partie de son travail, il aliène la propriété de sa force de travail, la propriété de lui-même. Quand il s’engage à remettre à un autre homme une partie des fruits nés sur son propre fonds, il aliène, au moins partiellement, son droit de propriété sur les choses. Fichte reproduit ainsi, comme on voit, la distinction, si souvent invoquée dans la France révolutionnaire, de la servitude personnelle et de la servitude réelle. Et adoptant la solution de la Constituante, il veut libérer les hommes de toute servitude personnelle, sans indemnité, et de toute servitude réelle, avec indemnité.

En vain les privilégiés allègueront-ils que c’est par contrat que d’autres hommes leur ont assuré l’emploi exclusif de leur force de travail. Le contrat de travail (Arbeitsvertrag) ne peut pas être un contrat de servitude ; et l’homme qui a aliéné à jamais l’emploi de sa force de travail est un esclave.

En fait, même dans l’esclavage, cette aliénation n’est pas absolue, car le maître est obligé de nourrir l’esclave. Le droit à la vie est le plus indéniable des droits et l’esclave lui-même n’a pu y renoncer. Ainsi, jusque dans l’esclavage, le droit humain n’a pas subi une interruption complète, une prescription mortelle, et l’homme peut toujours se revendiquer lui-même, toujours reprendre le libre usage de sa force de travail. Toute la question est de savoir si l’esclave qui s’affranchit, le serf qui se libère doivent au maître une indemnité. Non, répond Fichte ; pour l’abolition de la servitude personnelle, esclavage ou servage, aucune indemnité n’est due. « Car le bénéficiaire ne peut se plaindre que d’une chose : c’est que, ayant espéré la continuation