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sanglantes encore que le fanatisme et le despotisme, ces deux alliés naturels, donnèrent au même peuple. Nous ne voulons pas vous rappeler que ces horreurs sont le fruit, non de la liberté de penser, mais du long esclavage où fut tenu l’esprit. Nous ne voulons pas vous dire que nulle part la paix n’est plus profonde que dans le tombeau. Nous voulons vous accorder tout ce que vous dites ; nous voulons nous jeter repentants dans vos bras et vous prier avec des larmes de nous cacher dans votre sein paternel et de nous préserver de toute misère. Oui, nous nous abandonnerons à vous aussitôt seulement que vous aurez répondu à une question respectueuse.

« Ô vous qui, comme nous l’apprenons de votre bouche, êtes les bienfaisants esprits protecteurs qui veillez sur le bonheur des nations, vous qui n’avez d’autre objet de votre tendre sollicitude que cette universelle félicité, pourquoi maintenant, sous votre haute direction, les inondations ravagent-elles encore nos champs, et les ouragans nos maisons ? Pourquoi des flammes jaillissent-elles encore du sein de la terre, dévorant nous et nos demeures ? Pourquoi le glaive et la peste enlèvent-ils encore nos enfants par milliers ? Commandez donc à l’ouragan qu’il se taise. Et commandez aussi à la tempête de nos pensées soulevées. Faites pleuvoir sur nos champs quand ils souffrent de la sécheresse, et envoyez-nous le réconfortant soleil quand nous vous en implorons, et donnez-nous aussi la vérité qui rend heureux : vous vous taisez ? Vous ne le pouvez pas ? »

Ainsi Fichte signifie aux princes, aux rois, avec une puissante ironie, qu’ils prétendent en vain se substituer à Dieu même. Non, ils ne gouvernent pas les forces de la nature : ils ne gouvernent pas davantage les forces de la pensée ; et de même que le monde naturel retrouve l’équilibre de ses éléments, le monde social, travaillé par la force divine de la liberté, saura lui aussi faire naître la paix des orages, et des épreuves, la joie. Tout l’effort de terreur déployé par les dirigeants, tous les articles de journaux, toutes les gravures étalant les massacres de Septembre, n’induiront pas l’intrépide et indomptable esprit de l’homme à se prosterner sous la main des faux dieux d’orgueil et d’impuissance. La Révolution française si calomniée est juste.

Il se peut qu’elle soit mêlée d’erreurs et de crimes. Mais ces restes de fureur servile avertissent les hommes non pas de répudier le droit humain enfin proclamé, mais de le réaliser par des voies meilleures. C’est pour avertir l’Allemagne, pour la faire profiter de l’expérience de la France et ouvrir les voies au progrès pacifique, que Fichte, en 1793, publie un livre admirable : Rectification des jugements du public sur la Révolution française.

« La Révolution française me paraît importante pour toute l’humanité. Je ne parle pas des suites politiques qu’elle a eues pour tous les pays, aussi bien que pour les États voisins, et qu’elle n’aurait pas eues sans une intervention injustifiée et sans la plus frivole confiance de ces États en eux-