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le peuple des pays rhénans subit la double servitude de la conquête et de la guerre. Qu’est devenue la promesse première faite aux peuples qu’ils choisiront eux-mêmes, en toute souveraineté, la Constitution qui conviendra le mieux ? Maintenant il apparaît aux Mayençais qu’ils sont exposés à tous les hasards, à l’abandon de la France et aux représailles furieuses de l’évêque et des nobles, s’ils n’adoptent pas exactement la Constitution française que Custine leur offre à la pointe de son épée. Il y avait une contradiction lamentable à être libéré par le vainqueur et à croire que cette libération pourrait se produire selon un autre mode que celui du vainqueur. Non, non, il y a trop de malaise en cette liberté imposée et façonnée par la conquête, et l’Allemagne ne se sentira libre que le jour où elle se donnera à elle-même la liberté.

Forster lui-même est dans une situation terriblement fausse et qui tous les jours s’aggrave. S’il n’espère pas que la France révolutionnaire, une fois accrue de Mayence et portée jusqu’au Rhin, aidera par son exemple à l’affranchissement politique de toute l’Allemagne, s’il abandonne presque toute la nation allemande à la servitude indéfinie, c’est une sorte de désertion. Qui ne surprend, en tout ce qu’il dit de l’Allemagne, une sorte de désespoir ? Il déclare que l’horrible spectre diabolique du féodalisme allemand ne pourra être chassé que la dague au poing, et il fait tomber la dague du poing : il arrête aux bords du Rhin le mouvement conquérant de la Révolution. Et il retranche de l’Allemagne ces révolutionnaires rhénans qui seuls pouvaient un peu manier le glaive contre les vieilles tyrannies. Contradiction et ténèbres ! De plus, au moment même où il appelle les Mayençais à la liberté, à l’indépendance, lui-même a sur l’épaule la lourde main conquérante de Custine. Il ne peut plus se séparer de lui. Il ne peut plus, sous peine de se condamner à un isolement mortel, désavouer même les fautes du général victorieux.

Il les sent pourtant. Il sait, et il écrit, dans ses notes, dans ses lettres, que Custine commet à Francfort les pires imprudences, qu’en imposant à la bourgeoisie une contribution que sans doute elle eût consentie de plein gré, si on la lui avait demandée sous forme d’emprunt régulier dans l’intérêt de la liberté allemande, il blesse les intérêts et les amours-propres. Et pourtant il est devenu si fatalement solidaire du vainqueur qu’il adresse aux habitants de Francfort un plaidoyer public pour les actes du général qu’il blâmait le plus.

Forster buvait vraiment jusqu’à l’extrême amertume toute la servitude allemande. Il avait souffert cruellement, avant la Révolution, et durant même ses premières années, du poids du despotisme qui accablait l’Allemagne. Et maintenant, la main étrangère qui soulève ce poids du despotisme se révèle presque aussi pesante, et elle marque de sa lourde empreinte la liberté déformée. Ô impuissance et douleur !

Mais soudain le destin s’aggrave encore. La résistance de l’Allemagne